L’actualité commentée

Août 2016

Un ancien condamné a le droit d’être oublié…

Le 30 août 2016

En 1994, un médecin a provoqué un accident mortel de la circulation. Il a été condamné puis réhabilité en 2006, ce qui signifie que sa condamnation a été effacée de son casier judiciaire.
Ces informations étaient présentes dans les journaux de l’époque. Via les archives devenues numériques, elles sont accessibles au public actuel. Ce médecin a alors estimé que son droit au respect de la vie privée et plus précisément, son « droit à l’oubli » n’était pas respecté. Il s’est adressé à la justice pour demander réparation d’un tort moral – appelé préjudice moral – à l’éditeur du journal.
Au tribunal de première instance puis en appel, l’éditeur du journal a été condamné à « anonymiser » l’article : le récit des faits reste toujours accessible mais le nom du médecin ne figure plus dans les articles concernés. Pas d’accord, l’éditeur s’est adressé à la Cour de cassation pour qu’elle examine à son tour sa demande (autrement dit, il a introduit un « pourvoi ») ; la Cour a rejeté ce pourvoi.
Expliquons le raisonnement de la Cour de cassation.

Respect de la vie privée…

Tout d’abord, la Cour estime que le droit à l’oubli numérique fait partie du droit au respect de la vie privée comme le nom, l’adresse, l’identité sexuelle, l’image, la vie familiale... Même si ce droit n’est pas cité comme tel, il découle de la Constitution belge et de la Convention européenne des droits de l’homme.
La Cour dit ensuite que le droit à l’oubli doit permettre « à une personne coupable d’un crime ou d’un délit de s’opposer dans certaines circonstances à ce que son passé judiciaire soit rappelé au public ». C’est le cas si un ancien article est mis en ligne dans les archives d’un journal.

… et de la liberté d’expression

Ce droit à l’oubli du médecin n’est-il pas une limitation de la liberté d’expression du journal et du droit à l’information du public qui y est lié ? La Cour de cassation soutient qu’il s’agit finalement d’un conflit entre deux droits fondamentaux : le droit à la liberté d’expression et le droit à la protection de la vie privée. Deux droits fondamentaux étant en conflit, les juges doivent trancher en cherchant à trouver un équilibre entre ces droits. La Cour de cassation a estimé que les différentes juridictions avaient eu raison de trancher en permettant l’anonymisation de l’article : les faits ne disparaissent pas, l’article ou les articles sont toujours visibles dans les archives mais sans le nom de la personne condamnée. L’information est toujours en ligne et, en même temps, l’identité du médecin est protégée.
La liberté d’expression ne peut toutefois pas être limitée dans n’importe quel cas, elle doit intervenir avec un but légitime : ici, protéger le droit à l’oubli du médecin. Elle doit encore être « nécessaire dans une société démocratique » : cela veut dire qu’elle doit être proportionnelle à la demande, autrement dit « ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain », ne pas aller plus loin dans la limitation du droit (ici la liberté d’expression et le droit à l’information) que ce qui est nécessaire à la protection de l’autre liberté (ici le droit au respect de la vie privée) : dans notre exemple, il y a anonymisation mais pas suppression de l’ensemble de l’information.

Un droit en construction

« Droit à l’oubli » est une drôle d’expression, employée sans doute par facilité. Il serait plus logique de parler d’un « droit à être oublié » ou, mieux peut-être, d’une obligation pour la presse de ne pas continuellement rappeler certains faits.
Ce « droit à l’oubli » est maintenant reconnu par la Cour de cassation pour les personnes condamnées. Les personnes jugées innocentes ne sont pas (encore ?) concernées. En fait, le droit lié à internet et au numérique n’existe pas encore. Il se construit petit à petit, au fur et à mesure que se posent questions et problèmes.

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