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Décembre 2016

Pas d’entrée en Belgique pour une famille syrienne : la séparation des pouvoirs est en cause

Le 16 décembre 2016

En Syrie, la guerre fait rage depuis des années. Dans la ville d’Alep particulièrement, la vie des civils est à tout moment menacée. De nombreux Syriens ont fui et tentent toujours de quitter leur pays en empruntant des routes dangereuses pour rejoindre l’Europe.

Ils sont généralement contraints de payer des passeurs. Entrer légalement en Europe est très compliqué puisque les frontières sont de plus en plus fermées et ce n’est qu’après avoir mis le pied dans un pays européen qu’un étranger peut y demander le droit d’asile. La majorité des étrangers arrivent donc illégalement en Europe, après des voyages extrêmement périlleux : plus de 6000 d’entre eux sont morts en Méditerranée en 2016.

Une famille sous les bombes

Une famille d’Alep, avec deux enfants de 8 et 5 ans, a vu sa maison détruite par des bombardements. Elle s’est réfugiée chez un oncle mais à tout moment, elle risque d’être touchée par des tirs et d’autres bombardements. Les enfants ne vont plus à l’école et se nourrir, se soigner est très compliqué. Elle souhaite quitter le pays sans devoir parcourir ces routes dangereuses et traverser la mer au péril de leur vie.
Depuis plusieurs mois, elle a donc, officiellement, demandé un visa à la Belgique pour pouvoir y entrer tout à fait légalement. Après quoi, elle pourrait demander l’asile sur le territoire belge. En Belgique, une famille amie a décidé de les loger et de les prendre en charge, elle a même déjà inscrit les enfants à l’école. L’État belge ne devrait donc rien débourser. Précisons que demander l’asile ne veut pas dire obtenir automatiquement l’autorisation de vivre dans le pays. Cependant, pendant l’examen de son dossier, le demandeur peut vivre en Belgique et ne peut pas être refoulé. Ce n’est en principe qu’en cas de refus de la demande qu’un éloignement du territoire belge peut être envisagé.

L’interdiction des traitements inhumains et dégradants

Malgré des demandes plusieurs fois répétées, l’Office des étrangers, chargé de délivrer les visas, les refuse.

Chaque fois, un recours est adressé au Conseil du Contentieux des étrangers. Et, chaque fois, celui-ci donne tort à l’Office des étrangers et exige la délivrance d’un visa.
Un recours est introduit par l’État belge (dont dépend l’Office des étrangers) devant le Conseil d’État pour mettre à néant la décision du Conseil du contentieux des étrangers relative à l’octroi du visa. Ce recours n’est à ce jour pas encore jugé mais il importe de savoir qu’il n’est pas suspensif, ce qui veut dire que l’État doit légalement l’exécuter, le respecter, c’est-à-dire délivrer le visa.

Pour prendre ses décisions, la justice s’appuie sur la Convention européenne des droits de l’homme, qui interdit les traitements inhumains et dégradants. Pour qu’une famille y échappe, elle n’a d’autre moyen légal que de demander un visa.
Autrement dit, la justice dit que, selon la loi, la Belgique doit accorder ce visa et permettre à une famille gravement menacée de lui demander l’asile.

Au regard des milliers de morts aux portes de l’Europe, de nombreux experts internationaux estiment qu’il faut permettre aux réfugiés d’entrer légalement en Europe. Ils pourraient alors éviter les voyages hasardeux, dangereux et le paiement de passeurs malhonnêtes.

Comme tel n’est pas le cas, la famille en question s’adresse à une juridiction judiciaire, à savoir le tribunal de première instance, pour faire respecter la décision du Conseil du contentieux des étrangers.

Ce tribunal ordonne à l’État de respecter l’arrêt du Conseil du contentieux des étrangers. Il le condamne à payer une astreinte, c’est-à-dire une somme d’argent par jour à payer à la famille syrienne s’il ne délivre pas le visa. Cette astreinte a ensuite été annulée.

Le 7 décembre 2016, la Cour d’appel de Bruxelles condamne à son tour l’État belge à délivrer un visa à la famille syrienne et rétablit l’astreinte, d’un montant de 1000 euros par jour de retard et par membre de la famille.

Un recours est introduit devant la Cour de cassation contre l’arrêt de la Cour d’appel mais il n’est pas suspensif et cet arrêt doit donc être respecté, exécuté par l’État, en attendant que la Cour de cassation se prononce.

Entretemps, le feuilleton des astreintes connaît un nouveau rebondissement : selon la presse de ce 15 décembre 2016, la Cour d’appel aurait suspendu les astreintes, la procédure sur ce point devant se poursuivre devant le juge des saisies, qui est un des juges du tribunal de première instance.

Sur le fond, personne ne met en cause la dangerosité de la vie à Alep. Les juges belges ne sont ni fous ni inconscients. Ils ont estimé que la délivrance d’un visa était la seule manière de permettre à la famille concernée de ne plus subir les traitements inhumains et dégradants.

Un refus illégal

Le visa doit donc être délivré par l’État belge, représenté ici par le secrétaire d’État à l’asile et la migration, Théo Francken. Celui-ci refuse toujours de délivrer ce visa. Selon Théo Francken, accorder ce visa serait ouvrir la porte à des milliers de demandeurs d’asile alors que l’État souhaite contrôler l’arrivée de nouveaux demandeurs. Il soutient que « les juges n’ont pas à lui imposer quoi que ce soit ! ». Mais son refus d’exécuter une décision de justice est illégal et pose question dans notre pays démocratique.

Si l’État ne respecte pas les décisions de justice…

Puisque la Belgique est une démocratie, elle applique la séparation des pouvoirs : cela signifie que le parlement (pouvoir législatif) crée les lois, que le gouvernement (pouvoir exécutif) les applique et que la justice (pouvoir judiciaire et autres juridictions, notamment le Conseil du contentieux des étrangers et le Conseil d’État) vérifie si la loi est bien appliquée dans des cas concrets.

La séparation des pouvoirs implique que chacun des trois respecte les deux autres.
Ici, le pouvoir exécutif (incarné par Théo Francken, membre du gouvernement) doit respecter le pouvoir judiciaire, c’est-à-dire obéir au jugement. Tout citoyen est tenu de respecter une décision du pouvoir judiciaire : personne n’imagine un condamné à la prison s’opposer à son emprisonnement ! Il peut ne pas être d’accord mais doit s’exécuter. Sa seule possibilité de réagir est de former un recours, c’est-à-dire de demander un deuxième jugement.

La Belgique est un État de droit : on peut toujours ne pas être d’accord avec les décisions de justice mais elles doivent être respectées. Le Gouvernement belge n’est pas au-dessus des lois.

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