L’actualité commentée

Avril 2017

Lanceur d’alerte

Le 6 avril 2017

En novembre 2014, un groupement international de journalistes d’investigation révèle les résultats d’une grande enquête appelée LuxLeaks : « Lux » pour Grand-Duché de Luxembourg et « leaks » pour fuites, en anglais. Ces journalistes ont découvert que des multinationales ont passé des accords avec l’administration fiscale luxembourgeoise pour éviter de payer d’importants impôts.

Mots-clés associés à cet article : Liberté d’expression , LuxLeaks , Lanceur d’alerte

Les journalistes ont pu mener leur enquête quand ils ont eu connaissance de documents internes d’une agence d’audit. Antoine Deltour, un Français ex-travailleur de l’agence, a trouvé ces documents sur la banque de données de son employeur ; il les a copiés avant de démissionner en 2010. Il les a plus tard communiqués à un journaliste, Édouard Perrin. Un autre salarié de la même agence, Raphaël Halet, a également remis quelques documents à la presse.
Ces trois hommes ont été attaqués en justice par l’agence d’audit, pour violation du secret des affaires, violation du secret professionnel, vol et accès frauduleux au système informatique.
Antoine Deltour, Raphaël Halet et Édouard Perrin sont-ils des « lanceurs d’alerte » ?
Voyons ce que signifient ces termes, inconnus il y a quelques dizaines d’années.

Que signifie « lanceur d’alerte » ?

Une alerte, c’est le signal d’un tout prochain danger. Un lanceur d’alerte, c’est une ou des personnes qui pensent avoir découvert des informations annonçant un danger pour les hommes, la société, le monde et qui rend ces informations publiques, sans en tirer un profit personnel. Le danger peut concerner la santé, l’environnement, l’économie, les libertés individuelles, etc.
Quand un lanceur d’alerte révèle des infos concernant une entreprise ou une association, il se met en danger puisque ces infos, auparavant inconnues, peuvent nuire aux intérêts de cette entreprise ou de cette association.
Prenons un exemple simple : si un employé d’une usine pharmaceutique rend publiques des infos concernant les dangers cachés d’un médicament, cela risque de faire du tort à l’entreprise. Cet homme n’est pas un espion introduit dans une entreprise pour y voler des renseignements au profit d’une autre firme. C’est un travailleur de l’entreprise qui y découvre ce qu’il estime dangereux pour l’intérêt général et le rend public. Il ne respecte donc ni le secret professionnel ni l’intérêt de son entreprise et se rend coupable de vols. Le plus important pour lui est de faire connaitre le danger et, pour cela, il prend le risque d’être pénalisé, trainé et peut-être même condamné en justice, voire licencié.
Dans les LuxLeaks, le danger est que d’énormes sommes d’argent échappent aux États et ne peuvent donc être utilisées pour le bien commun.

Des critères

Jusqu’à présent, il n’existe pas de loi concernant précisément les lanceurs d’alerte. Toutefois, la Cour européenne des droits de l’homme a, à plusieurs reprises, rendu des arrêts à ce sujet. Il existe donc une jurisprudence sur laquelle les juges peuvent s’appuyer.
La Cour européenne des droits de l’homme estime qu’il s’agit bien d’un lanceur d’alerte quand cinq critères sont rencontrés :
- l’information est authentique ;
- elle sert l’intérêt général, a un réel intérêt public ;
- toutes les possibilités de faire connaitre autrement ces infos ont été épuisées ;
- l’intérêt de ces infos est supérieur au préjudice causé à l’entreprise ou l’association ;
- l’information est divulguée et diffusée de bonne foi.

Un droit dérivant d’autres droits

Il n’existe pas un « droit d’alerter ». Quand elle juge, la Cour européenne des droits de l’homme se base sur l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme consacrant le droit à la liberté d’expression et le droit à l’information. En quelque sorte, il existe un « droit d’alerter » parce qu’il existe un droit d’informer.
La reconnaissance du droit d’alerter devrait mener à la protection du lanceur d’alerte. D’où le cadre juridique (ci-dessus) établi par la Cour européenne des droits de l’homme.

L’affaire LuxLeaks

Dans l’affaire LuxLeaks, Antoine Deltour et Raphaël Halet ont été condamnés, en première instance, à douze et neuf mois de prison avec sursis, et à 1.500 euros d’amende. Même si les infos diffusées étaient d’intérêt général, les deux hommes, selon les juges, n’avaient pas le droit de violer le secret des affaires et le secret professionnel.
Le journaliste a été acquitté. Il n’est pas tenu au secret d’affaires d’une entreprise dans laquelle il ne travaille pas. Il se contente de divulguer les informations qu’il a recueillies.
En appel, les peines ont été modifiées : Antoine Deltour écope de six mois de prison et de 1.500 euros d’amende. Raphaël Halet n’a plus que 1 000 euros d’amende.
La Cour d’appel de Luxembourg se réfère à la Cour européenne des droits de l’homme pour reconnaitre les cinq critères définissant un lanceur d’alerte. Ceux-ci sont bien présents.
Mais alors, pourquoi Antoine Deltour est-il tout de même condamné ? Dans son arrêt, la Cour estime qu’au moment où Antoine Deltour extrait les renseignements, il n’est pas encore lanceur d’alerte. Il le deviendra seulement quand il transmettra les renseignements à un journaliste. Selon la Cour, il y a donc eu vol et fraude informatique avant qu’il soit lanceur d’alerte, ce qui explique sa condamnation actuelle.
Par contre, les documents livrés par Halet étant peu nombreux et peu intéressants, et cet homme agissant avec un mobile honorable (donc pour bien faire), il est seulement condamné à une simple amende.
Le journaliste est à nouveau acquitté et la Cour le félicite pour le sérieux de son enquête.

Le monde 19/12/2016 – 15/03/2017. Le Soir 16/03/2017. Revue des droits de l’homme 10/2016.

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