L’actualité commentée

Octobre 2017

Natation et religion : la Cour européenne défend le vivre-ensemble

Le 26 octobre 2017

En Suisse, dans le canton de Bâle-Ville, les cours de natation font partie du programme de cours obligatoires. Ces cours sont mixtes. Aucune dispense ne peut être accordée avant la puberté.

En 2008, des parents possédant la double nationalité turque et suisse ont refusé d’envoyer leurs filles, nées en 2001 et 2006, au cours de natation. Selon eux, leur religion, l’islam, interdisait de participer à des cours de natation mixtes. Et donc, en imposant la participation de leurs filles à ces cours, l’école ne respectait pas leur autorité de parents ni leur liberté de religion.

Absence au cours et amende

Ces parents ont été avertis que l’absence aux cours de natation est punie d’une amende. En juin 2010, après avoir eu un entretien avec eux et leur avoir envoyé deux lettres, la direction de l’école demande que cette amende soit perçue. En juillet, les autorités scolaires imposent l’amende aux parents (environ 1292 euros) parce qu’ils n’ont pas assumé leurs responsabilités de parents.
Ceux-ci, pas d’accord, adressent un recours à la Cour d’appel du canton de Bâle-Ville ; celui-ci est rejeté en mai 2011.
Toujours en désaccord, les parents s’adressent alors au Tribunal fédéral (en Suisse, l’équivalent de la Cour constitutionnelle, de la Cour de cassation et du Conseil d’État de Belgique). Ils veulent faire reconnaitre que le refus de dispense de l’école viole leur droit à la liberté de conscience et de croyance (ou de religion), tel que reconnu par l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme.
En 2012, ce tribunal rejette à son tour le pourvoi : il estime que le refus de dispense de l’école ne viole pas le droit des parents à la liberté de conscience et de croyance. Le respect des obligations scolaires par tous les parents et tous les élèves est plus important que le respect des commandements religieux d’une partie de la population.

La Cour européenne se prononce

Toujours opposés à la décision de l’école de leurs filles et à l’amende infligée, les parents s’adressent alors à la Cour européenne des droits de l’homme, à Strasbourg. Ils insistent : leur droit à la liberté de conscience et de croyance est bafoué.
Le 10 janvier 2017, la Cour rend un arrêt fouillé

Oui mais…

Oui, dit-elle en quelque sorte, il est bien question du droit des parents à manifester leur religion et donc, il est légitime qu’ils invoquent leur droit à la liberté de religion. Et oui encore, l’école est intervenue par rapport à leur droit à la liberté de religion.

La Cour se pose alors deux questions : le refus de dispense du cours de natation mixte à leurs filles était-il nécessaire dans une société démocratique ? Était-il proportionné aux buts poursuivis par les autorités ?
Elle y répond en détail.

À chacun son rôle

Tout d’abord, rappelle-t-elle, les États doivent appliquer les programmes scolaires mais ils sont libres de les aménager selon leurs besoins et traditions. Même si les parents sont les premiers à devoir assumer l’éducation de leurs enfants, ils ne peuvent pas exiger qu’une école donne un certain enseignement ou organise les cours d’une certaine manière.

Défense du vivre ensemble

Comme l’ont dit la Cour d’appel et le Tribunal fédéral, la Cour estime que l’école joue un rôle social important : elle permet aux enfants d’apprendre à vivre ensemble et de s’intégrer dans la société. Cela est d’autant plus important lorsqu’il s’agit d’enfants d’origine étrangère. Le cours de natation est nécessaire pour apprendre à nager mais aussi pour apprendre à vivre en société en y participant avec tous les autres élèves. Il est dans l’intérêt des élèves de suivre tous la même scolarité, les mêmes cours.

Cours privés inégalitaires

Les parents faisaient aussi valoir que leurs filles suivaient des cours de natation privés. La Cour redit alors l’importance d’apprendre et de pratiquer ensemble la natation. Elle constate que tous les parents n’ont pas les moyens de payer des cours privés ; si ceux-ci étaient admis à la place des cours obligatoires, les enfants ne seraient plus égaux devant l’apprentissage de la natation. Cela est inadmissible dans l’enseignement obligatoire.

Des aménagements non pris en compte

La Cour relève encore que les autorités ont proposé différents aménagements aux parents : les filles pouvaient porter un burkini, se dévêtir et se doucher hors de la présence des garçons. La Cour estime donc que ces aménagements tenaient compte des convictions des parents à propos de leur religion et des cours de natation mixtes.
Concernant la sanction – donc l’amende - infligée aux parents, la Cour estime qu’elle est proportionnelle à l’objectif poursuivi soit, obliger les parents à envoyer leurs enfants aux cours obligatoires, dans leur intérêt, pour se socialiser et s’intégrer dans la société où ils vivent.

L’article 9 est respecté

En conclusion, la Cour réaffirme que l’obligation pour les enfants de suivre tous les cours du programme scolaire et de s’intégrer dans la société est prioritaire par rapport à l’intérêt des parents pour une dispense des cours de natation mixtes pour raisons religieuses ; les autorités ont réagi comme il le fallait en imposant l’amende.
Il n’y a donc pas eu de violation de l’article 9 de la Convention relatif à la liberté de pensée, de conscience et de religion.

Commentaires

  1. Natation et religion : la Cour européenne défend le vivre-ensemble

    1er novembre 2017

    Gisèle Tordoir

    J’estime cette décision de la Cour simplement logique. Nothing else.

  2. Natation et religion : la Cour européenne défend le vivre-ensemble

    31 octobre 2017

    Dominique Denonne

    Enfin un peu de sagesse face à ceux qui défendent farouchement leurs droits et libertés au mépris d’un vivre ensemble bien malmené ces dernières années.
    Finalement cela revient au vieux concept : le bien commun passe avant l’intérêt particulier.