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Mars 2019

La grève est un droit fondamental : la Cour européenne des droits de l’homme le rappelle

Le 20 mars 2019

Aleksey Ognevenko était conducteur de train dans les chemins de fer russes. En avril 2008, ce cheminot a pris part à une grève. Suite à cette participation, il a été licencié.

Image @ Actu.fr

Pas d’accord avec cette décision, il a contesté son licenciement devant les tribunaux russes mais ceux-ci lui ont donné tort. Il s’est alors adressé à la Cour européenne des droits de l’Homme. Le 20 novembre 2018, celle-ci a rendu son arrêt : elle considère qu’Aleksey Ognevenko ne pouvait pas être licencié parce qu’il avait participé à une grève des chemins de fer.

Liberté d’association

Pour contester le jugement russe, la Cour se base sur l’article 11 de la Convention européenne des droits de l’Homme. Cet article affirme le droit « de fonder, avec d’autres, des syndicats et de s’affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts ». Ce droit garantit donc la liberté d’association et la liberté syndicale. Or, continue la Cour, le droit de grève est en quelque sorte une conséquence de la liberté syndicale : en effet, la grève est un des plus importants moyens, pour les syndicats, de se faire entendre et d’arriver à négocier pour défendre les intérêts professionnels des personnes syndiquées.

Pas de droit absolu

Comme beaucoup d’autres droits, le droit de grève n’est cependant pas absolu. En effet, les États peuvent le limiter mais seulement à certaines conditions :

  • premièrement, ces restrictions doivent avoir été prévues par la loi ;
  • deuxièmement, elles doivent aussi être justifiées par « un besoin social impérieux ».

Mais qu’est-ce qu’un « besoin social impérieux » ?
Pour le définir, la Cour se réfère à deux organismes :

Pour ceux-ci, le droit de grève peut être réduit dans certains secteurs professionnels, comme la police ou l’armée. Mais ces mêmes organismes ne considèrent pas que les activités de transport (y compris les transports via le chemin de fer) sont un service essentiel. D’autre part, le fait que la grève peut avoir des conséquences économiques négatives et concerne un grand nombre de voyageurs n’est pas suffisant pour l’interdire.
Enfin, la décision des tribunaux russes et la condamnation d’un cheminot gréviste peut influencer d’autres travailleurs à décider de faire ou non grève pour protéger leurs intérêts professionnels. Cet effet dissuasif porte donc également atteinte au droit de grève.
L’arrêt de la Cour européenne des droits de l’Homme est clair : les tribunaux russes ne pouvaient pas invoquer une interdiction pure et simple de faire grève pour licencier un cheminot.

En Belgique

Depuis longtemps, en Belgique, faire grève ne peut pas entraîner un licenciement.
Cependant, cet arrêt de la Cour européenne des droits de l’Homme est intéressant pour la Belgique. En effet, la loi belge du 29 novembre 2017 oblige à la mise sur pied d’un service minimum en cas de grève dans les chemins de fer. Cette loi n’interdit pas la grève et ne réquisitionne pas de personnel. Concrètement, trois jours avant le début de la grève, les travailleurs doivent décider et déclarer s’ils vont y participer. Cela permet à la SNCB et à Infrabel d’organiser un certain nombre de transports en fonction du nombre de non-grévistes.
D’autre part, « toute action décidée pour contrarier la fourniture de l’offre de transport » est interdite par cette même loi.

Le Conseil d’État, lors de son examen de l’avant-projet de loi organisant ce service minimum, avait posé différentes questions concernant le respect de la Convention européenne des droits de l’Homme et les principes de l’OIT.
Depuis l’entrée en vigueur du service minimum, certains recours contre cette loi ont été adressés à la Cour constitutionnelle, qui ne s’est pas encore prononcée. Elle devra maintenant tenir compte de la décision de la Cour européenne des droits de l’homme, qui ne considère pas que le transport ferroviaire est une activité essentielle. Et donc, s’il y a limitations du droit de grève dans le secteur du transport, elles doivent être scrupuleusement justifiées. À la Cour constitutionnelle de vérifier, d’établir si c’est bien le cas de la loi de 2017.

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