L’actualité commentée

Février 2018

Le ministre, l’avocat de Salah Abdeslam et la séparation des pouvoirs

Le 15 février 2018

Le procès qui s’est déroulé à Bruxelles au sujet de la fusillade de la rue du Dries, où Salah Abdeslam était mis en cause, n’en finit pas de faire des remous.

Mots-clés associés à cet article : Juge , Avocat , Séparation des pouvoirs , État de droit , Abdeslam (Salah -)

Bien sûr, la personnalité de la personne poursuivie, le contexte des attentats terroristes en France et en Belgique, expliquent cet émoi.
Cependant, ce procès a mis en lumière la difficulté qu’il y a, pour les citoyens, à admettre et comprendre que les principes fondamentaux sur lesquels s’appuie notre démocratie soient d’application dans tous les procès, quels qu’ils soient.

Justice-en-ligne et Questions-Justice l’ont déjà abordé en évoquant le droit de se taire, dont Salah Abdeslam a fait usage. On lira ainsi :

  • sur Justice-en-ligne : " Salah Abdeslam invoque son droit au silence devant le Tribunal correctionnel de Bruxelles : de quoi s’agit-il ? " ;
  • sur Questions-Justice : " Salah Abdeslam se tait devant les juges, est-ce son droit ? ".
    Ce droit fondamental doit être rappelé, c’est le sens de nos sites, et les commentaires qui ont suivi ces articles montrent combien il est difficile à comprendre et à accepter dans un contexte où l’émotion prend le pas sur la réflexion.
    C’est une difficulté, nous le mesurons et, inlassablement, nous poursuivrons notre travail d’information, inséparable de la défense des valeurs de la démocratie et des droits de l’homme.

Là où les citoyens peuvent ignorer certains principes fondamentaux, il en va tout autrement d’un ministre en fonction.
Depuis quelques jours, les avocats s’insurgent, les magistrats s’écharpent, plusieurs élus demandent des explications au Ministre de l’Intérieur suite à ses déclarations à l’encontre de la défense choisie par l’avocat de Salah Abdeslam. En effet, ces propos inquiètent.
D’abord, parce qu’ils témoignent d’une réelle méconnaissance du rôle de l’avocat dans un procès. Nous avons déjà évoqué ce sujet sur Questions-Justice : " Tous les suspects ont le droit d’être défendus ".
Le droit d’être défendu est un droit inaliénable. Et dans ce contexte, le rôle de l’avocat n’est pas d’approuver ce qui a été fait, ou pas, par son client, mais de défendre celui-ci, par exemple en indiquant quels éléments de preuve manquent et permettraient de conclure que celui-ci n’est pas coupable. Ou encore en mettant en avant les éléments de la personnalité qui justifieraient une peine plus clémente. Ou encore en vérifiant que toutes les règles de la procédure pénale ont été respectées.
Ce faisant, l’avocat fait son métier. Ni plus ni moins, et c’est fondamental.

C’est le juge qui, dans un second temps, dira ce qu’il y a lieu de faire des arguments soulevés.
C’est le rôle du magistrat, et l’on comprend combien ce métier est difficile, en particulier dans des dossiers où l’émotion est grande, quand la pression populaire est là, quand les média y vont chacun de leur jugement ou analyse. Nous avons déjà évoqué cette difficulté de juger sur Justice-en-ligne " L’insoutenable légèreté de juger ".
Il est certain que, dans ce dossier-ci, plus que d’autres, la pression sociale et morale est énorme.

C’est pourquoi dans un contexte si sensible, les propos d’un ministre en exercice qui indique qu’il ne convient pas d’acquitter Salah Abdeslam sont dangereux. Ce faisant, un membre du pouvoir exécutif met la pression sur des juges dans un dossier en cours. C’est interdit, en raison de la séparation des pouvoirs qui est un pilier de notre démocratie.
Pour rappel, en Belgique, le pouvoir de l’État est réparti entre trois pouvoirs :

  • le pouvoir législatif, c’est-à-dire celui qui fait les lois, les décrets et les ordonnances ; il est exercé par le Parlement, c’est-à-dire, au niveau fédéral, la Chambre des représentants et parfois le Sénat ; il contrôle le pouvoir exécutif ;
  • le pouvoir exécutif, c’est le gouvernement : c’est celui qui érige une politique et fait en sorte que les lois soient appliquées de manière concrète ;
  • le troisième pouvoir est le pouvoir judiciaire, auquel il faut ajouter les juridictions administratives (spécialement le Conseil d'État) et la Cour constitutionnelle ; ce sont les juges ; ils appliquent les lois pour trancher des conflits, qui peuvent être privés, entre des personnes, mais aussi parfois avec l’autorité publique.
    L’équilibre voulu par la Constitution veut que chacun contrôle l’autre, limite ses pouvoirs, évite que l’un prenne le dessus sur les autres. L’équilibre veut que chacun respecte l’autre, lorsqu’il s’adresse à lui, lorsqu’il parle de lui, lorsqu’il le critique. L’équilibre veut ainsi que le pouvoir exécutif ne mette pas la pression sur les autres pouvoirs lorsqu’ils exercent leur mission.

Dans le cas qui nous occupe, l’atteinte à ce principe de la séparation des pouvoirs est assez inédite et explique le nombre des réactions. Il ne peut être toléré que, dans un dossier individuel en cours, fût-il complexe, emblématique, dramatique, un membre du pouvoir exécutif, par des déclarations publiques, mette indirectement la pression sur les juges.
Le dire n’est pas critiquer un autre pouvoir. C’est rappeler l’essentiel. C’est une question de démocratie.

Commentaires

  1. Le ministre, l’avocat de Salah Abdeslam et la séparation des pouvoirs

    24 février 2018

    Michel Schobbens

    Je ne pense pas que le Ministre Jambon ait voulu influencer les magistrats.
    Il est assez révolté, comme beaucoup de personnes, que l’avocat demande la relaxe
    de son client suite à une erreur de procédure (question linguistique) qui semble-t-il
    obligerait la cour à arrêter le procès et d’en faire un nouveau (si possible sans
    recommencer la même erreur administrative) MAIS le juge pourrait aussi
    prononcer la relaxe du terroriste sans obligation d’un nouveau procès.
    Si ce que j’écris est exact, le Ministre avait entièrement raison d’interpeller
    l’avocat, car cette loi est d’une stupidité sans nom. Il faut d’urgence abolir cette
    loi car on ne relâche pas un assassin à cause d’une erreur administrative.

  2. Le ministre, l’avocat de Salah Abdeslam et la séparation des pouvoirs

    24 février 2018

    Michel Schobbens

    Je ne pense pas que le Ministre Jambon ait voulu influencer les magistrats.
    Il est assez révolté, comme beaucoup de personnes, que l’avocat demande la relaxe
    de son client suite à une erreur de procédure (question linguistique) qui semble-t-il
    obligerait la cour à arrêter le procès et d’en faire un nouveau (si possible sans
    recommencer la même erreur administrative) MAIS le juge pourrait aussi
    prononcer la relaxe du terroriste sans obligation d’un nouveau procès.
    Si ce que j’écris est exact, le Ministre avait entièrement raison d’interpeller
    l’avocat, car cette loi est d’une stupidité sans nom. Il faut d’urgence abolir cette
    loi car on ne relâche pas un assassin à cause d’une erreur administrative.

  3. Le ministre, l’avocat de Salah Abdeslam et la séparation des pouvoirs

    22 février 2018

    Dominique Denonne

    Séparation des pouvoirs ? Dans un Etat de droit, à tout moment la Justice peut intervenir dans la gestion de l’exécutif. Quand on considère le nombre de plaintes faites par des particuliers, des associations, etc... contre une décision administrative, il est difficile de ne pas voir une immixtion de judiciaire dans l’exécutif.

  4. Le ministre, l’avocat de Salah Abdeslam et la séparation des pouvoirs

    21 février 2018

    Dominique Denonne

    Tempête à la belge dans un verre d’eau. Le Roi, in illo tempore, a bien refusé de signer une loi. Il faut bien admettre que nous somme dans un drôle de pays. Le ministre de l’intérieur n’a pas en charge la Justice dans ses attributions.
    C’est également un citoyen comme un autre qui est révulsé de l’utilisation d’un tel argument par l’avocat de la défense. Comme tout citoyen, il est en droit de s’exprimer et ce n’est pas cette prise de parole qui peut être prise comme un injonction à l’égard des juges. S’il avait été Ministre de la Justice la question aurait été toute autre bien évidemment !
    J’admets qu’il aurait été plus sage de se taire mais je ne crois pas que dans ce cas-ci, cette prise de parole remette fondamentalement en cause l’indépendance de la Justice. S’il y avait eu de son chef une volonté d’infléchir la position d’un juge, je crois que le Ministre Jambon l’aurait fait de manière beaucoup plus discrète.
    Il faut voir dans tout ce tapage médiatique une pure affaire politicienne.

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