Les rouages de la justice

L’avocat, entre le citoyen et la justice

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Les enfants aussi ont droit à leur avocat !

Interview de Thierry Moreau

Le 20 mars 2020

Le droit à la liberté d’expression fait partie des droits de l’enfant, dit l’article 13 de la Convention internationale des droits de l’enfant.
Dans certaines circonstances, un enfant, un mineur, peut ou doit être entendu par le juge. Le recours à l’avocat permet-il le respect de ce droit à s’exprimer devant le juge ?

Mots-clés associés à cet article : Avocat , Mineur , Audition

Image @ pxhere

Thérèse Jeunejean, notre journaliste, a posé la question à Thierry Moreau, avocat qui assiste régulièrement des mineurs.
Voici la première partie de cette interview. La seconde partie sera publiée dans quelques jours.

Questions-Justice (QJ) : Vous pouvez être l’avocat d’un enfant entendu par un juge de la jeunesse dans une situation de maltraitance. Comment agissez-vous dans ce cas ?

Thierry Moreau (T.M.) : S’il s’agit d’un enfant, toute une technique d’entretien se met au point petit à petit. S’il a 5 ou 6 ans, nous n’allons pas rester dans mon bureau mais peut-être descendre à la cuisine, histoire de le mettre à l’aise, de créer une ambiance. Pour que cela se passe bien, deux heures vont être nécessaire alors qu’une suffit pour un adulte. Et dès le départ, je précise : ‘Si je dis tu, tu dis tu’, parce qu’il faut tout de suite éviter de créer une distance.
Il faut expliquer à l’enfant qu’on fait équipe, qu’on est là pour parler avec lui et parfois, si c’est trop dur pour lui, pour parler à sa place mais en respectant ce qu’il veut qu’on dise ! Dans le mandat d’avocat d’enfant, l’avocat n’est en effet pas là pour dire ce que lui pense mais pour évoquer la réalité de l’enfant. Certains magistrats ne comprennent pas qu’on puisse plaider des choses qui peuvent paraitre absurdes à l’adulte mais qui sont la logique de l’enfant. Pour lui, c’est important qu’il y ait toujours quelqu’un avec lui. Quand la confiance est là, après, on peut arriver à dire : ‘Tu veux qu’on dise ça mais franchement, tu as l’impression que le juge va te croire ?’.

QJ : Mais l’enfant à assister peut être un bébé ?

T.M. : Un tout petit en danger a aussi droit à un avocat mais on ne parle pas à la place du bébé ! L’avocat est là pour vérifier la procédure et puis, il pose des questions au juge, des questions qui dérangent par exemple : ‘Vous envisagez de placer cet enfant, pourquoi ? Pour quelles raisons ?’. Et encore : ‘Quel est l’intérêt de l’enfant ? Qu’avez-vous mis en place, par exemple, pour vous assurer que la mesure de placement que vous envisagez ne peut vraiment pas être évitée ? Pourquoi envisagez-vous la pouponnière plutôt que… ?’. L’avocat est là pour obliger le juge à constater qu’il a bien pesé le pour et le contre avant de décider que c’est bien l’enfant qui est au centre des préoccupations. Même si aujourd’hui, en protection de la jeunesse, un placement est surtout fait en fonction des places disponibles dans les institutions, voire dans des services pas nécessairement les plus compétents mais simplement ceux qui ont une place libre.

QJ : Quand un jeune a commis une infraction, il est arrêté par la police. Vous êtes présent ?

T.M. : La police ne peut interroger ce jeune qu’en présence d’un avocat appelé au commissariat.
Légalement, le rôle de l’avocat est de vérifier que la procédure a été respectée, qu’il n’y a pas eu de pression sur le mineur. Il s’agit aussi de vérifier que juge et policier se comprennent parce que le même terme, employé par l’un et l’autre, peut avoir une signification bien différente !
Au début de l’audition en fait, il s’agit de dédramatiser. Il faut aussi se rendre compte, par exemple, que le jeune nous a dit des choses importantes que les questions posées ne lui permettent pas d’expliquer. Les jeunes répondent facilement ‘oui’ ou ‘non’, sans plus. Certains policiers nous disent que nos interventions les intéressent parce qu’ils ne se rendent pas toujours compte que le jeune a peut-être plus à dire que ce qu’il a dit.

QJ : Ce mineur peut se retrouver devant le juge de la jeunesse. Vous êtes toujours présent ?

T.M. : Si le parquet a estimé devoir renvoyer le jeune au tribunal de la jeunesse, il sera nécessairement accompagné de son avocat.
Avec les adolescents – ce sont généralement eux qui ont commis des infractions – il y a toute une période… d’adoption. L’idée, c’est de faire comprendre au jeune que nous n’avons aucun pouvoir sur lui, que nous sommes à sa disposition, que nous devons faire équipe et arriver à nous faire confiance. Pendant tout un temps, le jeune nous identifie à une autorité, il pense qu’on est copain avec le juge. Un moyen de créer la confiance, c’est parfois de proposer au jeune :
— Tu veux dire ça au juge ?
— Oui.
— C’est peut-être mieux que ce soit moi qui le dise. C’est moi qui me ferai engueuler.
Et le juge réagit :
— Mais enfin Maitre, qu’est-ce que vous racontez ?
— Ce que dit ce jeune.
— Arrêtez de dire des bêtises !
Le jeune a vite compris qu’on n’a pas beaucoup de pouvoir ! Par contre, ce qu’on peut lui faire comprendre, c’est que la vérité a un pouvoir, que l’authenticité a un pouvoir.
On peut aussi faire un travail un peu pédagogique, expliquer que le juge n’est pas là pour punir mais pour aider. De temps en temps, les jeunes diront : ’Si c’est comme ça qu’il compte m’aider, ça ne m’intéresse pas, j’ai plutôt l’impression qu’il me punit’. Cela nous arrive de dire au juge : ‘J’en ai parlé avec Gustave. Cela fait trois fois qu’il vient devant vous et, chaque fois, il se demande en quoi vous l’aidez. Pouvez-vous lui expliquer s’il vous plait ?’
En droit de la jeunesse surtout, l’avocat est moins là pour revendiquer ceci ou ça que pour poser les bonnes questions.

QJ : Et si un jeune nie l’évidence ?

T.M. : Pour certains jeunes, c’est impossible de reconnaitre qu’ils sont coupables. Ils veulent aller en appel et nous allons en appel. Et le juge d’appel dit ‘Mais pourquoi me dérangez-vous, les faits sont tellement évidents ?’.
Mais quand le jeune sent qu’il a devant lui quelqu’un qui va lui faire confiance jusqu’au bout, on peut se reparler :
— Le juge n’e t’a pas cru pour telle et telle raison. Reconnais que c’est un peu difficile de te croire !
Parfois, ce jeune me pose la question :
— Et toi, tu me crois ?
— Mon problème n’est pas de te croire ou pas, c’est d’être avec toi, de t’aider à dire ce que tu as envie de dire mais peut-être que ce que tu as très difficile à dire, c’est que c’est toi ? Mais tant que tu ne le dis pas, tout le monde te tombe dessus ! Et qu’est-ce qui se passerait si tu le disais ? De quoi as-tu peur ?
Au départ, je vais suivre ce jeune dans sa position et, quand on se rejoint, à partir de là, on peut arriver à ce qu’il se pose des questions, réfléchisse… Mais tout cela se fait avec le temps, après avoir réussi à créer un vrai contact qui permet, à un moment donné, de poser les vraies questions.

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