Voici quelques jours, Questions-Justice a publié la première partie d’une interview de l’avocat Thierry Moreau sur la manière dont les avocats assistent les mineurs lorsque ces derniers sont entendus par un juge.
Voici la seconde partie de cette interview.
Thierry Moreau y explique non seulement le déroulement concret des choses mais aussi les difficultés qui peuvent se présenter.
Questions-Justice (QJ) : En cas de séparation, seuls les enfants de plus de 12 ans doivent être entendus. Vous accompagnez cependant parfois des plus jeunes ?
Thierry Moreau (T.M.) : Les enfants de moins de 12 ans peuvent demander à être entendus et le juge accepte ou non, en fonction de ce qu’il estime être ‘l’intérêt de l’enfant’. Il peut aussi mandater un intervenant extérieur pour entendre l’enfant, par exemple, un assistant de justice, qui est un collaborateur des Maisons de Justice.
Dans ces situations, la présence d’un avocat n’est pas requise, elle est même exceptionnelle mais il arrive que des enfants viennent nous voir avant de rencontrer le juge. Alors, nous pouvons demander au juge d‘être présent, ce qui est rarement refusé, mais les juges, généralement, aiment bien avoir l’enfant seul.
Personnellement, un enfant seul devant le juge, je trouve que c’est parfois un peu délicat parce que tout va dépendre de la capacité du magistrat à entrer en relation avec le jeune. Même s’ils travaillent au tribunal de la famille, tous les magistrats n’ont pas nécessairement le contact facile avec les jeunes. Parfois, quand on accompagne un enfant devant un juge, on prépare ce contact pendant une ou deux heures mais, chez le magistrat seul avec l’enfant, l’audition dure maximum une heure.
Chez le magistrat, on se rend aussi compte du stress du jeune. Et le magistrat ne saisit pas nécessairement ce qui est important aux yeux de ce jeune et celui-ci ne va pas dire au magistrat : ‘J’ai répondu à vos questions mais ce que j’ai vraiment envie de dire, c’est ça !’.
Un avocat présent ne va pas parler à la place du jeune mais pouvoir dire : ‘Monsieur le juge, il a répondu à vos questions mais il y avait quelque chose qu’il a vraiment envie de dire, je ne sais pas si tu as encore envie de la dire mais, quand on s’est vus, tu le souhaitais…‘
Le jeune, la plupart du temps, arrive devant le magistrat comme l’étudiant devant le prof, à l’examen, qui perd tous ses moyens. Le fait d’avoir un adulte à ses côtés, même s’il ne parle pas nécessairement beaucoup, peut être un soutien.
Une recherche a comparé les jeunes qui ont été entendus seuls à ceux qui ont été entendus avec leur avocat. Les seconds ont eu l’impression d’avoir plus de facilité à dire les choses et surtout, d’avoir pu dire ce qu’ils voulaient dire. Beaucoup de jeunes entendus seuls avaient, par contre, plutôt l’impression de servir de source de renseignement sans avoir su dire ceci ou ça. Et cela, même si parfois des juges de très bonne volonté leur ont posé la question : ’Y a-t-il quelque chose que tu veux dire ?’
Il faut souligner aussi que, quand il arrive devant le juge, l’enfant est focalisé sur son problème et, s’il n’a pas été préparé, il a peur des conséquences par rapport à lui mais surtout, par rapport à ses parents : ‘Qu’est-ce qu’on va penser de mes parents ? Si je dis que j’ai envie d’être plus chez maman, on va penser que papa est mauvais’, Mais ce n’est pas du tout cela, l’enfant est jeune, il a surtout envie des câlins de maman ou des histoires qu’elle raconte le soir. Mais si on l’interroge sur son père, il raconte des choses sympas…
Devant un enfant, le magistrat doit se départir d’un réflexe de juriste qui est de poser des questions pour connaitre la vérité. Pour beaucoup de magistrats, l’enfant est surtout une source d’informations non pas sur lui-même mais sur la situation. Mais quand un enfant est devant un magistrat, le problème n’est pas de connaitre la vérité mais les sentiments de l’enfant et des sentiments ne sont pas rationnels. Mais quelle est la place qu’on laisse à l’irrationnel dans les auditions d’enfants ?
QJ : Défendre les enfants, est-ce un choix ?
T.M. : En tous cas, il faut le vouloir ! C’est un choix difficile car les dossiers jeunesse sont des dossiers chronophages et, dans la majorité des cas, l’avocat est rémunéré via l’Aide juridique.
Au départ, des jeunes avocats s’inscrivent pour assister des enfants, mais quand ils ont plus de responsabilités, une famille, des collaborateurs, ils ne peuvent plus continuer.
QJ : En conclusion, peut-on dire que le droit d’expression des mineurs belges est respecté ?
T.M. : Le fait que les mineurs soient défendus par des avocats de l’Aide juridique, souvent jeunes, est dérangeant parce que cela signifie que les enfants sont toujours, à 85 %, défendus par des avocats qui n’ont pas beaucoup d’expérience. Même si c’est un peu moins le cas maintenant que les montants octroyés par l’Aide juridique sont légèrement augmentés. En fait, si l’on veut que ce travail soit financièrement rentable, il faut le faire à la va-vite. Ce qui arrive régulièrement, dans 70 à 80 % des cas quand des juges se plaignent que l’avocat n’a pas vu l’enfant avant d’arriver à l’audience.
Dans une recherche concernant des jeunes à propos de leur avocat, on trouve le pire et le meilleur :
— C’était un frère et il m’a aidé jusqu’au bout.
— Je ne l’ai jamais vu, il est seulement venu dire à l’audience qu’il était d’accord avec le juge.
C’est dangereux parce qu’un jour, on risque de dire que les avocats ne servent à rien !
Pour réellement respecter les droits de l’enfant, il y a un gros boulot à faire. Le premier pas, ce serait de prendre conscience que, si l’on veut donner une importance à notre jeunesse et aider les jeunes qui ont le plus de difficultés, il faut permettre aux avocats de vivre de ce job, ce qui n’est pas le cas quand il s’agit de l’Aide juridique.
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