L’actualité commentée

Mai 2023

Quand de jeunes délinquants rencontrent leurs victimes…

Le 30 mai 2023

Le récent film « Je verrai toujours vos visages », présenté sur Questions-Justice le 12 mai dernier, nous a fait découvrir la justice restaurative, telle qu’elle se pratique en France.
En Belgique, on connait peu ce qu’on appelle plutôt la « justice restauratrice » mais, des deux côtés de la frontière, il s’agit pareillement de mettre en relation auteurs et victimes d’infractions. Objectif de ces improbables rencontres : trouver ensemble une solution qui « restaure ». Restaurer, c’est alors rétablir quelque chose qui n‘existait plus, réparer un mal pour les uns, dépasser des épisodes douloureux pour les autres, avancer dans la vie, pour toutes les personnes concernées.

Ce travail de « justice restauratrice » existe pour des adultes, des jeunes et leurs victimes. L’asbl « Arpège », à Liège, mandatée par le parquet ou le Tribunal de la jeunesse, mène ce travail lorsque des jeunes sont concernés.

Une infraction et puis…

Un gros conflit entre père et fils a dégénéré. Le fils a physiquement agressé le père, ils se sont battus et celui-ci a porté plainte. Le fils vit chez sa mère et ne voit plus son père.
Autre exemple : en désaccord avec la tenancière d’une échoppe, un jeune du même quartier l’a menacée avec un couteau. Cette dame a fait un geste et le jeune l’a gravement blessée.
Arpège peut intervenir pour ce genre de situations mais aussi pour une multitude d’autres, dès qu’il y a infraction : il peut être question de faits de mœurs, de blessures volontaires, de conflits intrafamiliaux, de vols, d’agressions, etc.
Quand une victime est identifiée, le parquet doit envisager une médiation. Il peut aussi décider de faire suivre le dossier chez le juge de la jeunesse. À son tour, celui-ci doit, en principe, prioritairement envisager « une offre restauratrice » parallèlement à d’autres éventuelles mesures (comme le placement, la surveillance par un délégué à la protection de la jeunesse ou encore les travaux d’intérêt général). Cela peut être une médiation ou une concertation restauratrice en groupe.
Le parquet ou le juge de la jeunesse informe la victime et l’auteur de l’infraction de la possibilité d’une démarche restauratrice. L’un et l’autre sont invités à prendre contact avec Arpège. Sans réaction, l’asbl contacte une première fois ces personnes par lettre et, sans réponse, éventuellement une seconde fois.

Côté victimes, côté jeunes

Septante pourcents des victimes répondent positivement à la proposition de cette démarche. Arpège souligne combien celle-ci est importante pour les victimes parce qu’elle est la preuve que la justice ne les oublie pas, tient compte d’elles, les reconnait. Elle leur permet d’avoir des réponses aux questions qu’elles se posent (« Pourquoi moi ? », par exemple). Elle peut les apaiser, les aider à retrouver confiance en elles, en l’autre et en la justice.
Au départ, ces victimes peuvent aussi ne pas très bien savoir de quoi il retourne, comment vont se passer ces entretiens. Leur fournir des explications est d’autant plus important qu’elles ignorent les autres décisions prises par le juge de la jeunesse. Elles peuvent donc imaginer, à tort, que cette médiation est la seule réponse à un acte qui les a gravement perturbées, ce qui leur semble inadmissible : « On me demande de communiquer avec quelqu’un qui m’a fait tant de mal ! Et c’est tout ce que la justice fait ! »
Côté jeunes, vu la proposition ou la suggestion d’un magistrat, refuser d’y donner suite est nécessairement plus difficile et donc les réponses positives sont plus nombreuses. La médiation ou la concertation restauratrice en groupe les aide à prendre distance, à prendre conscience de leur acte, mais aussi des conséquences négatives de celui-ci pour la victime. Elle rend possible une « réparation » qui peut aider à restaurer l’image de soi.

Une sérieuse préparation

Les uns et les autres ne vont généralement pas se rencontrer rapidement. Ils sont toujours, d’abord, vu individuellement par un des médiateurs : ainsi, ce père et ce fils ont, à deux reprises, chacun de leur côté, longuement raconté leur histoire. Et c’est seulement après d’autres rencontres individuelles qu’ils ont pu envisager de se retrouver face à face, en présence du médiateur.
Ces rendez-vous préparatoires à une éventuelle rencontre permettent à chacun de dire ses émotions, ses sentiments négatifs comme la colère chez les victimes, la peur (« Il sait où j’habite, il va revenir ») ou encore les attentes. Comme l’immense appréhension des victimes (« Il va m’en vouloir, m’agresser… »).
Le rôle du médiateur est clair : « intermédiaire de communication », il se doit d’être neutre et impartial. Il tiendra compte, systématiquement, des victimes et des jeunes qui doivent se sentir prêts à se rencontrer mais peuvent, pour cela, prendre plus ou moins de temps. Ensuite, « ce que le personnes vont faire ensemble, c’est vraiment une question de mayonnaise, en fonction de qui est l’auteur et de qui est la victime. Cela peut donner des choses extraordinaires, moins intéressantes ou… rien du tout », explique une médiatrice d’Arpège.

Deux formules

Le Parquet peut seulement proposer une médiation. Le juge de la jeunesse peut proposer une médiation ou une « concertation restauratrice en groupe ». Cousine de la médiation, cette dernière tient compte de l’entourage : auteurs et victimes sont en quelque sorte assistés par des proches, des personnes ressources choisies par eux : un parent, un voisin, un éducateur, un professeur. Un membre de la communauté (c’est le terme employé par Arpège) est également présent, par exemple un policier. La concertation aboutira à une réparation de la victime, une réparation à la communauté, en lien avec les faits commis et un projet d’avenir.

Que demandent les victimes ?

La plupart des victimes ne demandent… rien pour elles, en tous cas pas de réparation concrète. Elles précisent parfois qu’elles sont présentes parce qu’il s’agit d’un jeune. Elles veulent en quelque sorte jouer un rôle quelque peu citoyen et souhaitent que ce qui leur est arrivé soit utile au jeune. Elles sont parfois perturbées et essaient de trouver un sens à ce qui leur est arrivé : « Ce n’est pas un hasard que nos chemins se soient croisés, peut-être devions-nous tous les deux évoluer », exprime parfois une victime.
Une autre : « Tu as vraiment fait un truc moche, je voudrais que tu rendes service à des gens, des personnes âgées, que tu fasses la lecture dans un home… ».
Ainsi, la tenancière de notre exemple, pourtant solidement blessée, s’est adressée en fin de parcours à son agresseur : « Je te demande de faire quelque chose de ta vie ! ». Et elle a ajouté : « Et tu pourras revenir dans mon échoppe mais pas tout de suite, le voisinage ne comprendrait pas ».
S’il est question d’une réparation financière, sur laquelle les uns et les autres doivent être d’accord, le montant maximal est de 2.000, 2.500 euros. Il s’agit d’éviter de porter préjudice à l’un et à l’autre. Ce montant peut être échelonné et, si légalement c’est aux parents à payer, le jeune peut devoir les rembourser.

Comment les jeunes réparent-ils ?

Les réparations sont liées aux infractions commises. Elles sont proposées par le jeune lui-même ou par un participant à la concertation. Cela sera souvent un service à la société, des heures de prestation dans un home ou une association de leur quartier, par exemple là où ils ont commis leur infraction.
Parfois, la réparation sera originale : à un jeune qui ne savait que dire et que faire, le policier présent à la concertation a demandé : « Qu’aimes-tu faire ? – Du rap ! - Et si tu créais un rap ? ». Enthousiasmé, le jeune a effectivement raconté son histoire en rap et l’a postée sur un réseau social.
Entre père et fils, il n’était pas vraiment question de réparation concrète mais plutôt de réparer un lien. Après de nombreuses rencontres, certaines décisions ont été prises, notamment qu’il ne sera plus question de parler de la mère chez le père et vice versa.
Et le fils a décidé de se présenter à son père qui disait ne plus le reconnaitre : « Voilà qui je suis, aujourd’hui ». Le père a répondu présent et s’est à son tour présenté à son fils.
Une page se tournait, la vie pouvait continuer pour ce père et ce fils, comme pour ces auteurs d’infractions et ces victimes qui ont pu bénéficier d’une médiation sous l’une ou l’autre forme.

Asbl Arpège, 2, Quai de la Boverie à Liège. En Belgique, il existe treize « Services d’action restauratrices et éducatives » (SARE). Arpège est une des activités du SARE de Liège.

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