Benjamine Bovy est avocate pénaliste. Elle suit surtout ce qu’elle appelle des dossiers « au long cours », donc des dossiers de personnes non détenues, qui comparaissent libres. Ces dossiers se sont arrêtés du jour au lendemain. Elle raconte :
Mots-clés associés à cet article : Santé , Confinement , Covid-19 , Épidémie , Pandémie , Droit à la santé
« Les quinze premiers jours, nous étions en état de sidération : les clients n’appelaient plus, on ne savait que faire ! Côté pénal, toutes les audiences étaient tombées, sauf les audiences de détenus et les procédures accélérées.
Il a fallu s’organiser à la maison : tous deux avocats, nous faisons du télétravail à mi-temps, avec un petit garçon de cinq ans. Au matin, l’un de nous est au bureau et l’autre s’occupe du petit. L’après-midi, on fait l’inverse. Comme j’ai du temps, j’ai pu faire les choses qui trainaient, qu’on met toujours un peu sur le côté quand on est très occupé ».
Quid des suspensions de peine ?
« Je suis plusieurs personnes qui purgent une condamnation. Il s’agissait donc de voir leur situation : étaient-elles dans les conditions pour bénéficier d’une suspension de peine et si, oui, il fallait faire les démarches pour l’obtenir. Si elles n’étaient pas dans les conditions, il fallait rassurer les familles, expliquer pourquoi on avait supprimé les visites, veiller à ce que les détenus puissent avoir un contact avec leur famille. Il a également fallu voir quels détenus avaient des pathologies médicales justifiant cette interruption de peine.
Il a fallu gérer les familles qui ne pouvaient plus aller voir leurs détenus, depuis le 23 mars puisque les visites étaient interdites. Ces familles sont en stress, comme les détenus parce qu’on a su très vite que le Covid circulait dans les prisons, même si, officiellement, il n’y avait aucun cas ».
Visite en prison, oui, mais
« Je pouvais tenter de rassurer les familles en leur donnant les infos dont je disposais, par exemple parce que j’avais eu un détenu au téléphone. Je suis allée en voir certains en prison pour vérifier que tout allait bien. C’était un peu difficile à gérer parce que, officiellement, j’avais le droit d’aller en prison mais officieusement, on me demandait de venir le moins possible, les conditions sanitaires dans les prisons étant déplorables. Les responsables avaient peur non seulement que les avocats soient infectés par les détenus mais surtout qu’ils introduisent le virus ! À la prison de Saint-Gilles, il y a de grands parloirs mais vous devez vous tenir à distance de votre client, c’est très particulier. À Forest, les parloirs ont deux mètres carrés, on pouvait voir les détenus « à carreaux », donc seulement derrière une vitre, comme lors des visites.
Pour moi, au niveau pénal, il ne s’est plus passé grand-chose. Mon boulot, c’est aussi d’assister les clients quand ils doivent être entendus comme suspects au commissariat mais, quand il n’y avait pas de privation de liberté, ces auditions étaient aussi supprimées ; donc… je n’avais vraiment pas grand-chose à faire ! ».
Très difficile pour les prisonniers
« Les conditions de détention sont très difficiles pour les détenus, vraiment confinés dans leur cellule. Il n’y a plus d’activités, plus d’intervenants extérieurs et c’est très compliqué à vivre ! Pour l’instant aussi, tout ce qui concerne la réinsertion est à l’arrêt. Les gens sont vraiment en situation de blocage. Tous les services sociaux externes ne rentrent plus. Quelqu’un qui a reçu une décision positive pour un congé pénitentiaire, il y a trois semaines, n’a toujours pas pu en profiter. L’administration pénitentiaire a bien dit qu’il pouvait bénéficier de ce congé mais, en pratique, ce ne sera mis en œuvre que quand on aura levé les mesures sanitaires dans les prisons, et personne ne sait quand cela aura lieu. C’est d’autant plus terrible à vivre que ces détenus ont peur du virus. Et le personnel pénitentiaire est diminué parce que tous ceux suspectés de Covid ont été mis en incapacité de travail.
Ceci dit, 1600 détenus sont sortis de prison depuis le début de la crise parce que les juges d’instruction ont libéré beaucoup de personnes qui étaient en détention préventive. Les détenus qui avaient déjà eu des congés pénitentiaires et répondaient à certaines conditions ont eu des congés prolongés. Il y a eu aussi des interruptions de détention pour causes médicales. L’administration pénitentiaire et le judiciaire ont vraiment fait en sorte de vider une partie des prisons Mais, pour ceux qui y restent, la situation est vraiment très difficile ! »
Moins de travail mais quel sera l’avenir ?
Augustin Daoût, avocat en droit public et administratif, explique d’emblée une forme de sidération lorsque, du jour au lendemain, le téléphone s’est arrêté de sonner.
Et il raconte :
« Je pense que vous avons tous été traversé par une crainte, une forme de peur face à l’inconnu. Un inconnu toujours présent aujourd’hui, qui peut avoir un effet tétanisant.
Il faut se rappeler que, lorsque tout s’est arrêté, nous n’étions pas informés de la façon dont les choses allaient être gérées. On ne savait pas, par exemple, si les délais de conclusions fixés pour les dossiers devaient être maintenus.
On a essayé d’organiser un travail à distance. Ensuite, les arrêtés de pouvoirs spéciaux ont été adoptés, ce qui a clarifié la situation, en organisant par exemple des reports des délais.
Cependant, cette première partie du confinement a encore été l’occasion d’apprécier toute l’importance de la confraternité entre avocats. Je dois dire qu’à titre personnel, les contacts que j’ai pu avoir avec d’autres avocats étaient extrêmement courtois et bienveillants. Des solutions rapides étaient trouvées pour aménager des calendriers d’échanges de conclusions par exemple ».
Un rythme allégé et la peur des clients
« En fait, le confinement a considérablement ralenti le rythme de travail, c’est évident. En termes de nouvelles affaires, c’est au point mort. Je peux avancer sur certains dossiers mais d’autres sont bloqués parce que l’on attend des pièces nécessaires…
Maintenant, je travaille en vidéoconférence avec certains clients mais c’est compliqué. Dans mes contacts avec mes clients, c’est surtout ceux qui sont acteurs du secteur de l’horeca qui retiennent mon attention. Ils sont tétanisés et ne savent pas à quelle sauce ils vont être mangés (!), ce que vont devenir leurs projets de développement, comment se déroulera la saison prochaine. Pour eux, la situation est catastrophique. Je peux un petit peu agir pour les aider mais je ne peux pas faire grand-chose. J’essaie de prendre contact avec leurs créanciers pour négocier des reports et tenter de limiter la casse, de renégocier les obligations souscrites ».
Que sera demain ?
« Maintenant, le téléphone sonne un peu plus souvent ! On sort tout doucement du confinement et on retravaille mais, même pour nous, c’est une véritable interrogation. Comment va-t-on reprendre ? De la même manière ou pas ?
Dans une certaine mesure, on peut dire que le confinement nous aura fait découvrir le travail à distance mais, ne nous leurrons pas, ce n’est pas la solution à tout.
Le contact client demeure très important, les audiences nous manquent !
La qualité de notre travail s’en ressent également, on a bien accès à des moteurs de recherche extrêmement performants mais cela ne remplace pas, pour mes dossiers, des recherches en bibliothèque, ce que je faisais très fréquemment ».
Commentaires
Il n'y a encore aucun commentaire sur cet article. Soyez le premier à réagir!