L’actualité commentée

Avril 2016

L’instruction, une enquête au secret

Le 6 avril 2016

Salah Abdeslam est enfin arrêté. Le procureur français a déclaré qu’Abdeslam a avoué aux enquêteurs belges qu’il voulait se faire exploser lors des attentats à Paris mais qu’il avait fait marche arrière. Ce procureur a donc diffusé des informations apprises lors de l’instruction.
L’avocat de Salah Abdeslam a porté plainte contre le procureur de Paris : il l’accuse d’avoir violé le secret de l’instruction.

De quoi s’agit-il ? L’instruction, c’est l’enquête menée par le juge d’instruction lorsqu’il prend en charge un dossier que lui a transmis le procureur du Roi. Toutes les affaires, loin de là, ne sont pas mises à l’instruction : souvent l’enquête menée par le parquet, que l’on appelle l’information judiciaire, suffit. On recourt à l’instruction pour les dossiers les plus importants, spécialement lorsqu’un crime est commis. L’instruction est également nécessaire lorsque la liberté individuelle ou le respect de la vie privée doivent être limités par décision d’un juge.
Les témoignages, les rapports d’audition ou d’enquête, les expertises, en fait tous les renseignements recueillis lors de l’instruction, ne peuvent pas être diffusés, ils doivent en principe rester secrets tout au long de l’instruction.

Qui doit respecter ce secret ?

Le secret de l’instruction est imposé par la loi. Toutes les personnes professionnellement impliquées dans l’instruction sont tenues au secret : juges, membres du parquet, greffiers, enquêteurs, experts et employés de leurs services. Le suspect, par contre, peut communiquer les informations dont il a connaissance lorsqu’il a pu consulter son dossier. De même, un avocat peut, si c’est dans l’intérêt de son client, transmettre des informations à la presse. Il doit toutefois respecter la présomption d’innocence, les droits de la défense et les règles de sa profession.
La violation du secret de l’instruction est punie d’un emprisonnement de huit jours à six mois et d’une amende de 100 à 500 euros.

Et les médias ?

En accord avec le juge d’instruction, le procureur peut faire le point d’une enquête devant la presse et ce, sans violer le secret de l’instruction.
Exceptionnellement, toujours avec l’accord du juge d’instruction, il peut communiquer certaines informations s‘il estime que le public a le droit d’en avoir connaissance.
Les journalistes ne sont pas tenus au secret de l’instruction. La liberté d’expression est un droit. Logiquement, la presse a le droit d’informer au sujet des affaires judiciaires, des procès en cours. Elle a également le droit de donner un avis concernant la manière dont les procureurs et juges travaillent.
Elle peut donc faire état d’un document communiqué par une personne qui aurait dû respecter le secret de l’instruction. En diffusant cette information qui aurait dû rester secrète, le journaliste ne sera pas considéré comme complice de l‘infraction commise par son informateur qui a, lui, violé le secret de l’instruction.
Par contre, si de fausses informations ont été diffusées par un média, celui-ci pourrait être attaqué en justice pour calomnie ou diffamation.
En fait, deux principes se bousculent : le secret de l’instruction limite la liberté d’expression et la liberté d’expression est limitée par le secret de l’instruction. La Cour européenne des droits de l’homme précise que seul un « besoin social impérieux » pourrait expliquer une restriction du droit à la liberté d’expression. Un juge ne va pas divulguer des infos qui permettraient à un suspect d’échapper à la police ou mettrait une vie en danger.

Pourquoi ce secret ?

Deux raisons expliquent et justifient ce secret de l’instruction. Premièrement, révéler des éléments de l’enquête pourrait donner des informations à des proches ou complices de la personne concernée par l’instruction. Ces derniers pourraient alors cacher des preuves, s’enfuir, mieux s’organiser pour empêcher le juge d’instruction de progresser dans son enquête. Ils pourraient encore vouloir se venger de quelqu’un qui aurait témoigné contre eux.
Deuxième raison : tant qu’une personne n’a pas été jugée et condamnée, elle est « présumée innocente ». Autant que possible, sa vie privée et son honneur doivent aussi être respectés. Révéler par exemple qu’une personne est accusée d’abus sexuel peut gravement lui faire du tort alors que quelques mois plus tard, il s’avère que c’est faux !

Quant à la plainte…

Selon différents juristes, la plainte de l’avocat d’Abdeslam a peu de chances d’aboutir. Selon ces juristes, le procureur français a le droit de diffuser certains éléments objectifs qui ne disent rien de la culpabilité ou de l’innocence de la personne en cause. Comme un procureur belge, il peut faire le point d’une affaire en cours devant la presse, en respectant bien sûr la présomption d’innocence.

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