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Septembre 2017

Cour d’assises ou tribunal correctionnel : quelles différences ?

Le 29 septembre 2017

La presse fait écho de nouveaux projets au sujet de la cour d’assises. Il est question, cette fois, de la supprimer ! Les affaires les plus graves seraient confiées à des chambres criminelles, spécialement créées au sein des tribunaux correctionnels. Mais il faut pour supprimer la cour d’assises modifier la Constitution, ce qui n’est pas encore fait.

Et aujourd’hui, quelles sont les différences entre le tribunal correctionnel et la cour d’assises ? Nous vous l’expliquons dans l’article ci-dessous.

Mais quelles sont les différences entre Cour d’assises et tribunal correctionnel ?

Deux caractéristiques

À la cour d’assises, ce n’est pas un juge qui décide qu’un accusé est coupable mais un jury populaire. Celui-ci est composé de douze personnes - appelées jurés - tirées au sort dans la population belge. Ces jurés n’ont aucune connaissance du dossier de l’accusé.
Autre spécificité de la cour d’assises : de très nombreuses audiences et parfois plusieurs semaines pour un procès parce que le juge d’instruction et toutes les personnes – policiers, témoins et experts – qu’il a déjà entendues sont appelées à redire leur témoignage ou leur expertise. Elles devront aussi répondre aux questions des juges, des jurés, du procureur général, des avocats de l’accusé et des victimes. C’est ce qu’on appelle l’oralité des débats.
Au tribunal correctionnel, il n’y a pas de jury et peu de débats oraux puisque le travail se fait essentiellement à partir de documents écrits (rapports d’instruction, d’audience des témoins, d’experts…) et qu’aucun juré ne posera de question ! Cela n’empêche évidemment pas que les juges, le procureur du Roi et les avocats de la défense ou des victimes le fassent.

Tout se dit !

Au tout début du fonctionnement de la cour d’assises avec un jury populaire, celui-ci était composé de personnes analphabètes. Il fallait donc leur expliquer oralement de quoi il était question pour qu’elles puissent comprendre et juger. Ce n’est plus le cas aujourd’hui mais cela ne supprime pas l’intérêt et même l’utilité de débats oraux. C’est en tous cas l’opinion de nombreux juristes qui n’approuvent pas la correctionnalisation de la plupart des crimes.

Comment cela se passe-t-il ? En cour d’assises, le juge d’instruction et les principaux policiers enquêteurs, témoins et experts interrogés pendant l’instruction viennent répéter et expliquer ce qu’ils ont fait, vu ou dit. Ils peuvent alors être interrogés par le président de la cour, par le procureur général, par les avocats de la défense et des parties civiles et par les jurés. En langage juridique, on dira qu’ils sont soumis à la contradiction des débats.

« Le fait d’expliquer oralement ce qui s’est passé est très différent d’un écrit dans un dossier », explique Denis Bosquet, avocat pénaliste. En effet, s’y ajoutent un comportement, des attitudes, des émotions, une manière de parler… : « Cela permet de débusquer, dans des éléments qui ne restent pas simplement écrits mais sont tout à coup soumis à une autre analyse, à un autre prisme, une vision différente des faits ».
Les jurés n’étant pas juristes le plus souvent et n’ayant aucune connaissance préalable du dossier, ont une manière différente d’aborder un procès. Ils peuvent poser des questions auxquelles un juriste ne penserait pas.

L’avocat continue : « Je n’ai pas le souvenir d’une seule cour d’assises où il n’y a pas eu, à un moment ou à un autre, une erreur de traduction, une interprétation, une question qu’on avait oublié de poser, une précision qu’on avait oublié de demander… Ce qui a pu faire basculer le procès dans un sens ou d’ans l’autre, peut-être pas totalement mais en tous cas l’a influencé. Quand tout à coup des informations apparaissent oralement et sont parcellaires ou insuffisantes, le président de la cour d’assises demande qu’elles soient précisées. Et le procès peut parfois repartir dans des directions auxquelles on n’aurait pas pensé auparavant ».

En effet, le président de la cour d’assises a le même pouvoir qu’un juge d’instruction. Cela signifie qu’il peut ordonner tous les devoirs qu’il veut : audition de témoins, expertises, contre-expertises, descente sur les lieux… tout cela, en cours de procès. On dit que ce président utilise le pouvoir « discrétionnaire ».

Denis Bosquet continue : « Si le président a le sentiment qu’un témoin se prend les pieds dans le tapis, ne raconte pas la vérité… il a les moyens de préciser : ‘Attention, vous êtes sous serment !’ et quelquefois des gens retournent entièrement leur veste, ce qu’ils n’auraient pas fait sans débat oral ».

Conclusion évidente pour l’avocat : « Un témoignage écrit et un témoignage oral sont des choses radicalement différentes ».

Par exemple…

Denis Bosquet cite un exemple de traduction erronée : un rapport en français, traduit du néerlandais, écrit qu’un accusé aurait des tendances zoophiles. Étonné, le président interroge le témoin qui ne comprend pas et précise n’avoir jamais dit cela. En fait, « dierenvriend », soit « ami des animaux », a été traduit par zoophile !

Un autre exemple : un garçon accusé d’avoir tué ses parents et sa sœur est arrêté lorsqu’il revient de la mer. Il est attendu par son parrain et les policiers. Il a l’air dans un état normal. Il subit une prise de sang qui révèle un certain taux d’alcool dans le sang, ce qu’il nie. Denis Bosquet raconte : « Ce point n’a pas été véritablement éclairci pendant l’instruction ; or il était important […]. Lors du procès d’assises, la défense demande qu’on réanalyse la prise de sang parce que tant le parrain que les enquêteurs n’avaient perçu aucun signe d’ébriété dû à l’alcool : l’accusé ne titubait pas, il avait un discours cohérent, donc, cela posait question. Le président a fait venir l’expert ADN, lui a confié l’échantillon qui avait été déposé au greffe en lui demandant de bien vouloir l’analyser. L’expert est revenu le lendemain en disant qu’il s’agissait du sang d’une femme. Ceci est vraisemblablement un élément qui ne serait peut-être pas jamais apparu dans une audience correctionnelle ».

Retour en arrière ?

Actuellement, le ministre de la justice planche sur un projet de « chambre criminelle ». Un retour en arrière parait cependant peu probable à Denis Bosquet : « Il existe une volonté politique, dans tous les domaines, de faire des économies. L’étonnant finalement, c’est que le coût de l’enquête va rester plus ou moins le même. Les frais liés à l’ADN, à la téléphonie, tous les frais scientifiques resteront identiques. Faire l’économie du jury ne représente pas grand-chose dans le budget. Mais il y a aussi, très clairement, un courant allant vers une moindre participation de la société civile dans la justice, confiée de plus en plus à des techniciens et des gens de métier […] ».

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