L’actualité commentée

Juin 2021

Les magistrats tirent la sonnette d’alarme !

Le 24 juin 2021

Participer à un des trois pouvoirs de l’État, exercer un métier varié et avec des responsabilités, rendre service au citoyen, et quel service : rendre la Justice ! Ces défis, de nombreux magistrats le relèvent chaque jour. Avec fierté, avec conviction, avec enthousiasme.

Mots-clés associés à cet article : Magistrat , Conseil supérieur de la justice

Photo @ PxHere.com

Mais parce que la Justice est humaine, parce qu’elle est exercée par des hommes et des femmes qui, comme vous et moi, ont une vie de famille, ont des besoins, ont des limites au-delà desquelles le risque d’erreur est augmenté, les magistrats sont inquiets. Inquiets de la pénurie de magistrats, c’est-à-dire du sous-effectif qui existe depuis des années parfois dans certains tribunaux, et qui ne leur permet plus de travailler avec suffisamment de temps et de sérénité pour accueillir chaque justiciable et étudier chaque dossier avec toute l’attention qu’il mérite.

Alors, ils ont décidé de le faire savoir.

C’était le journal télévisé du 1 mai 2021 la RTBF : des juges crient au secours, ils n’ont pas les moyens de travailler correctement ! Ils constatent et expliquent une charge de travail lourde, énorme, qu’ils veulent assumer le mieux possible.

De nombreux exemples

Et de donner des exemples : au Tribunal de première instance francophone de Bruxelles, par exemple, où ils devraient être 126 magistrats, ils sont seulement 106. Et, parmi ces 106 magistrats, sont comptés les malades de longue durée qui ne sont pas remplacés. Un chiffre constant alors que le nombre de dossiers, lui, augmente depuis 2015. Alors que de méga-procès (comme celui des attentats) ont requis trois juges pendant de longues périodes où leurs tâches habituelles doivent être reprises par d’autres magistrats déjà débordés.
Autre tribunal, même écho : est-il besoin de rappeler les conséquences d’un confinement qui a vu se multiplier les cas de violence conjugale ou intrafamiliale, les demandes de séparation ? Ces situations concernant des gardes d’enfants, des montants de pension alimentaire ont un évident impact sur la vie des personnes et exigent des décisions rapides. Théoriquement, les audiences à leur sujet doivent être fixées dans les quinze jours mais, en réalité, les délais peuvent être de trois mois « ça nous parait absolument inadmissible », conclut la juge interviewée. Précision : le Tribunal de la famille francophone de Bruxelles, devrait compter 20 juges mais ils ne sont que 18 et bientôt 17…
Côté Tribunal correctionnel francophone de Bruxelles, l’abondance des dossiers ne permet pas de les traiter dans des délais corrects et donc nombre d’entre eux doivent être reportés : « C’est regrettable quand on remet un dossier et que les parties sont présentes. Mais ce n’est pas possible autrement. On ne peut pas tenir une audience jusque 23 heures pour pouvoir faire face à la pénurie de magistrats », explique une juge. Celle-ci souligne aussi que le manque de temps a un impact sur le temps d’écoute et la qualité de cette écoute. À ne pas oublier non plus : les audiences ne sont qu’une partie visible du travail des magistrats, qui doivent évidemment étudier leurs dossiers avant les audiences et ensuite décider et motiver le jugement après celles-ci.
Comment exercer une justice de qualité quand les besoins augmentent tandis que les moyens stagnent ?

Pourquoi ?

Depuis des années, la justice manque de bras, notamment suite à une décision du précédent ministre de la Justice de ne nommer que 90 % du cadre prévu (ceci concernant aussi bien les magistrats que le personnel judiciaire). Manque de bras dès le départ donc qui alourdit considérablement la charge de travail de tous, ce qui crée le cercle vicieux maladies, absences, burn out, etc.
Autre raison de crier au secours : les moyens matériels obsolètes consacrés à la justice compliquent et donc freinent le travail : que l’on pense aux bureaux insalubres ou au matériel informatique absent ou largement dépassé…
Le ministre actuel veut réduire le sous-effectif de la magistrature et des appels à candidature devraient être publiés. En 2021 également, 125 millions d’euros devraient renforcer la justice (250 millions en 2024), selon l’accord de gouvernement.

Un nombre de candidatures en baisse

Le Conseil supérieur de la justice, dont une des raisons d’être est de présenter les candidats à la magistrature après la réussite d’un concours d’admission au stage judiciaire ou d’un examen d’aptitudes professionnelles, constate un manque de candidats. D’année en année, les avocats sont moins nombreux à franchir le pas pour occuper un poste de juge ou de procureur.
Ainsi, le nombre d’inscrits au concours d’admission au stage judiciaire chute depuis plusieurs années : 226 inscrits pour la session 2018-2019 alors qu’ils étaient 463 pour la session 2014-2015. Sur l’accès à la profession de magistrat, il est renvoyé à l’article publié précédemment sur Questions-Justice, « Comment devient-on magistrat ? ».
Les inscrits à l’examen d’aptitude professionnelle diminuent également, ils étaient 275 pour la première session 2019 mais 552 pour la session 2015.
Pourquoi ces diminutions ? Selon le rapport du Conseil supérieur de la justice, « Les avocats expliquent leur intérêt pour le métier de magistrat par l’attractivité intellectuelle de la profession et le rôle sociétal important du magistrat. Ces éléments ne sont toutefois pas suffisants pour compenser la perception plus négative qu’ont les avocats de l’exercice au quotidien de la fonction, en raison notamment de l’environnement, des conditions de travail ainsi que des conditions financières ». Les différentes réformes de l’organisation judiciaire semblent aussi jouer un rôle dissuasif.

Et pourtant ?

Les magistrats tirent donc la sonnette d’alarme : la justice est un pilier de la société, un service au public, essentiel, indispensable dans une démocratie. Attirer l’attention sur les sous-effectifs et le manque de valorisation de leur métier, identifier les causes de la pénurie, ce n’est donc pas uniquement pour eux qu’ils le font mais c’est surtout pour que, demain, la justice puisse encore être rendue dans de bonnes conditions dans notre pays.

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