L’actualité commentée

Octobre 2021

Quand nos communications électroniques peuvent-elles être conservées ?

Le 14 octobre 2021

Les opérateurs télécom possèdent nos communications électroniques. Peuvent-ils les conserver ? Peuvent-ils les transmettre aux autorités policières et aux services de sécurité ? Qu’en est-il du respect de la vie privée ?

photo @ PxHere

Depuis plusieurs années, des réponses sont recherchées à ces difficiles questions : en effet, il faut trouver un équilibre entre sécurité et respect de la vie privée. Dans une société démocratique, une surveillance généralisée des citoyens ne peut pas exister.
Qu’en est-il aujourd’hui, après différents épisodes judiciaires, deux arrêts du 6 octobre 2020 de la Cour de justice de l’Union européenne viennent d’éclairer ces questions. Ces décisions sont nuancées.

Pas de conservation et de transmission automatique des données…
Tout d’abord, la Cour rappelle que le droit de l’Union européenne s’oppose à ce qu’un État oblige les fournisseurs de services de communications électroniques (en Belgique : Proximus, Base ou Orange) à conserver et à transmettre des données relatives au trafic et à la localisation, cela dans le but de préserver la sécurité du pays.
La Cour estime que ces données permettent de connaitre les habitudes de vie des personnes concernées, leur lieu d’habitation, leurs activités, leurs relations, les milieux qu’elles fréquentent… Conserver ces données équivaut à s’ingérer dans les droits fondamentaux des utilisateurs (par exemple le respect de la vie privée) alors qu’elles ne sont pas nécessairement liées à une menace pour la sécurité nationale.
Différents services nationaux de sécurité et de renseignements estiment, eux, que recueillir toutes les données existantes leur permet d’effectuer un travail efficace face à des menaces graves et persistantes pour la sécurité, des menaces liées au risque terroriste, à l’espionnage et à la prolifération nucléaire.

… sauf si…
La Cour veut tenir compte de l’avis de ces services et, dans ce but, prévoit certaines dérogations, mais elle affirme d’abord qu’« il ne peut être question que la dérogation à la règle du secret devienne la règle ». Pourquoi ?

  • parce qu’une surveillance systématique porte atteinte au droit à la vie privée et à la protection des données des individus ;
  • parce qu’elle porte atteinte à la liberté d’expression dès que les traces des activités de diffusion, de recherche et de partage d’informations sur internet sont enregistrées et analysées ;
  • parce qu’elle porte atteinte à la liberté de presse puisque les communications des journalistes seraient surveillées ;
  • parce qu’elle porte atteinte au respect du secret professionnel, par exemple celui qui concerne les échanges entre avocat et client ;
  • parce qu’elle pourrait avoir un effet dissuasif pour les lanceurs d’alerte.

Des dérogations existent
En cas de menace grave pour la sécurité nationale, menace réelle ou prévisible, la Cour accepte que l’interdiction de conservation généralisée et indifférenciée de données soit levée pour une durée limitée au strict nécessaire.
Pour lutter contre la criminalité grave, l’État peut conserver certaines données, liées à des catégories de personnes ou à des critères géographiques. Il peut conserver des adresses IP pour une durée limitée au strict nécessaire.
Pour lutter contre la criminalité en général, il peut conserver des données concernant l’identité civile des utilisateurs.
Quelle que soit la raison de conserver ces données, des garanties contre les abus doivent exister. Le non-respect des droits fondamentaux doit pouvoir être contrôlé par un juge ou une autorité administrative indépendante.

En Belgique
À la suite des décisions de la Cour de justice, la Cour constitutionnelle belge conclut, dans son arrêt n° 57/2021 du 22 avril 2021, que « l’obligation de conservation des données relatives aux communications électroniques doit être l’exception et non la règle ».
La loi belge actuelle imposant, au contraire de cette décision, une conservation généralisée de toutes les données de communication, la Cour constitutionnelle annule cette loi et invite le législateur à écrire un nouveau texte.

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