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Un chercheur en droit : « Pour moi, la recherche est un engagement ! »

Le 21 juillet 2023

Personne ne se demande ce que cherche un chercheur d’or ! Mais que peut bien chercher un chercheur en droit ? Nous avons posé cette question et quelques autres à Charly Derave, chercheur au Centre Perelman de philosophie du droit de l’Université libre de Bruxelles, rattaché à la Faculté de droit et de criminologie de cette université.

Mots-clés associés à cet article : Chercheur , Recherche scientifique , Faculté de droit , Université

Questions-Justice (QJ) : Le droit existe bel et bien, il n’est plus à découvrir. Alors, que font, que cherchent les chercheurs en droit ?
Charly Derave (C.D.) : Le droit existe, il est là autour de nous, c’est un ensemble de règles mais il est susceptible d’évoluer parce qu’il régit les comportements sociaux. Ceux-ci peuvent également évoluer et la recherche en sciences juridiques vise à analyser l’évolution du droit, parallèlement à celle de ces comportements. Cette recherche peut concerner des changements qui se sont déjà produits dans la société et qu’il faut déconstruire, décortiquer pour mieux jeter un regard nouveau sur le monde. Elle peut aussi prendre en considération d’éventuelles modifications futures de la norme, des projets ou des propositions de lois par exemple, et fournir un avis, des recommandations, des conseils aux autorités juridiques lorsqu’elles souhaitent modifier une règle de droit.

QJ : Comment devient-on chercheur ?
C.D. : Pour être formé en droit, un étudiant suit la formation de bachelier (trois ans) puis le master en droit (deux ans), avec de nombreux cours en sciences juridiques. Pour devenir chercheur, il faut avoir un diplôme de master, être créatif et trouver un directeur ou une directrice de thèse.
En bachelier, on touche bien à d’autres disciplines, comme la psychologie, la philosophie et même l’économie politique mais on a tout de même très fort l’impression d’être en vase clos. Pourtant, la discipline des sciences juridiques est ouverte à d’autres disciplines, elle est poreuse et l’on s’en rend compte lors d’un doctorat et de la rédaction d’une thèse en vue d’acquérir le titre de docteur (soit le niveau le plus élevé des études de droit en Communauté française). Le doctorant devenu chercheur s’intéresse alors à toute une série d’autres disciplines, avec un regard à 360°, pour alimenter sa réflexion et être certain d’avoir la connaissance la plus complète possible du sujet étudié. Il acquiert une somme de connaissances et d’expériences qu’il transmettra en rédigeant une thèse, mise ensuite à la disposition du public.
Dans le cadre de la thèse, il existe une formation doctorale donnant accès à un certificat d’aptitude à la recherche. Elle permet d’acquérir des connaissances dans d’autres domaines que le droit, par exemple celui de la communication puisqu’en tant que chercheur, on est appelé à donner des conférences, à communiquer de manière fluide. Cette formation doctorale apporte donc des outils permettant de devenir de vrais chercheurs et, par conséquent, de pouvoir mener des recherches de manière tout à fait indépendante, sans être assisté par d’autres personnes comme un directeur ou une directrice de thèse.
Après un doctorat, il est toujours possible de poursuivre la recherche dans le cadre d’un « post-doctorat », en étant engagé en qualité de chercheur, en liaison ou non avec la recherche de sa thèse.

QJ : Concrètement, comment travaillez-vous ?
C.D. : Chaque chercheur choisit sa propre approche méthodologique.
Il peut y avoir des approches plutôt formalistes, qui consistent, de manière théorique, à voir ce qui existe en droit et comment cela a été appliqué en pratique.
D’autres méthodologies permettent de comparer différents « ordres juridiques », de prendre un système et de le comparer à un autre, d’étudier les différences, les effets et les conséquences que l’on peut en tirer.
Il existe aussi des approches en philosophie du droit ou en sociologie du droit. Dans le premier cas, on va mobiliser des concepts philosophiques, dans le second, on fera davantage des enquêtes de terrain, un travail plus empirique.
D’autres approches encore sont pragmatiques, on prend alors un objet comme un cas d’actualité, un cas d’étude… On le décortique sous tous ses aspects pour voir les effets que cela produit en droit. Un exemple dans le cadre de ma thèse sur le Covid : je considère différents instruments de la crise sanitaire, par exemple le pass sanitaire. Je le décortique sous différents angles : juridique mais aussi sociologique, psychologique, informatique, technologique… Et je regarde quelles transformations ce pass a produit concernant le droit : on constate en fait une transformation du contrôle de l’application de la règle, de la loi. On a permis à des citoyens, à des acteurs privés, de contrôler l’état de santé de leurs pairs. Cela avait déjà eu lieu dans le passé mais, à une si grande échelle, c’est révolutionnaire !

QJ : Chercheur, pourquoi ?
C.D. : Il y a plusieurs raisons…
Je pense que c’est parce qu’il y a un besoin de comprendre le monde, celui du droit en particulier, comment il fonctionne, comment il peut évoluer, comment il agit sur les personnes et les comportements sociaux. Comprendre comment cet ensemble s’est construit et opère aujourd’hui.
C’est aussi une volonté de produire de la connaissance sur le monde et, dans le cadre de ma discipline, sur la science juridique.
C’est surtout faire de la recherche engagée, c’est une volonté de se conformer à ses valeurs, comme la liberté, la solidarité, l’égalité, valeurs auxquelles je me rattache. La recherche me permet de les mettre en application et de faire de la recherche engagée, c’est-à-dire visant à permettre des évolutions sociales. C’est étudier comment nous, à notre échelle, nous pouvons faire en sorte que la société s’améliore et permettre à certains individus ou certaines communautés ou minorités d’acquérir une meilleure position dans la société.
Pour moi, la recherche est un engagement.

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