Les rouages de la justice

L’huissier de justice

+ ce dossier contient 2 autres articles

Découvrir le métier d’huissier de justice

Le 28 septembre 2023

Si je dis « huissier », que me répondez-vous ?
Questions-Justice consacre deux articles à ce métier peu connu. Voici le premier ; le second sera publié sous peu.
Et donc, que me répondez-vous ?
Lotto, disent les uns. Piquet de grève, répondent les autres. Et d’autres encore : Aïe ! Peur, saisie, voire mise à la rue !

« Belle entrée en matière », dit Quentin Debray, président francophone de la Chambre nationale des huissiers de justice, que nous avons rencontré. Mais en réalité, qui est l’huissier de justice ?
Précisons d’emblée qu’il y a huissier et huissier. Un huissier d’audience assiste le tribunal pour assurer le bon déroulement de l’audience devant un juge ; c’est donc presque le même mot pour désigner une autre fonction que celle d’huissier de justice. Notre actuel article concerne cette dernière profession. L’huissier de justice est avant tout un « officier » de l’État, appelé « officier ministériel » : il offre son service officiel (son « ministère », disait-on dans le passé) à ceux qui s’adressent à lui. Nommé par l’État (c’est-à-dire par le Roi après une proposition émanant du ministre de la Justice), il est mandaté pour certaines missions prévues par la loi. C’est un « officier public » (autrement dit un fonctionnaire public) dont les écrits valent preuve, sont des actes que l’on appelle alors « authentiques ».
Même s’il est nommé par l’État, l’huissier est indépendant, maître de son organisation, et il est rémunéré par les personnes qui lui demandent ses services.

Première mission : le constat

« Quand vous avez besoin d’une preuve qui va tenir dans le temps, vous pouvez faire appel à un huissier de justice pour obtenir un écrit authentique d’un état de fait à un moment donné », explique Quentin Debray. Un exemple ? Le tirage du Lotto, le concours Reine Élisabeth ou d’autres concours : il s’agit alors de garantir le bon respect du règlement. L’huissier fournira l’attestation précisant ce respect de la procédure. Mais semblables attestations peuvent être fournies dans d’autres domaines, par exemple à propos de problèmes de voisinage : une personne n’arrive pas à convaincre son voisin d’abattre un arbre ne respectant pas la distance légale par rapport à sa clôture. Avant d’aller chez le juge de paix, cette personne demande un constat à un huissier. Cela lui permettra de prouver un fait et de l’aider à résoudre le problème. « La plupart du temps, précise l’huissier rencontré, les gens s’exécutent rapidement parce qu’ils commencent à sentir le vent de la Justice ! ».
Ces constats peuvent aussi concerner bien d’autres secteurs, comme celui de la construction, même parfois à titre préventif : parce que ses voisins entreprennent des travaux, un propriétaire demande à un huissier de constater que le mur mitoyen est impeccable.

Deuxième mission : apporter une citation

Recevoir une citation à se présenter devant ce tribunal signifie y être convoqué par un huissier de justice. En apportant une citation, signée par lui, l’huissier introduit donc une affaire devant un tribunal. À la demande d’un requérant (par exemple le voisin mécontent de cet arbre trop proche de chez lui), l’huissier apportera une citation au propriétaire de l’arbre. Il lui expliquera qu’il vient à la demande du voisin souhaitant l’intervention de la justice, qu’il est convoqué devant le juge de paix tel jour, à telle heure, à propos de cet arbre. Il précisera que le voisin demande l’abattement de cet arbre.
Autre situation : l’huissier peut aussi amener une citation à comparaitre, par exemple chez une personne convoquée au tribunal de police pour un excès de vitesse. Le procureur du Roi veut lui retirer le permis, ce qu’il explique dans un document appelé réquisitoire, signé par lui. L’huissier apporte ce réquisitoire et un autre document, qu’il signe : la citation.
L’huissier se rend personnellement chez les gens parce que la citation doit en principe leur être remise en mains propres et qu’il est important de pouvoir prouver, grâce précisément à l’intervention de l’huissier, que cette remise a été faite à la date indiquée sur la citation.
« Le contact humain est très important, souligne l’huissier. C’est le moment où j’explique aux gens les tenants et aboutissants, ce qu’ils doivent faire, quels sont leurs droits, leurs obligations. La plus-value de la démarche d’un huissier de justice, c’est que c’est un juriste qui se rend chez les gens, qui explique de quoi il s’agit et apporte de l’information ». Notre interlocuteur cite l’exemple de factures non payées : « Est-ce que vous contestez cette facture ? Est-ce un oubli ? Ou n’avez-vous pas de quoi payer ? ». En fonction de la réponse de la personne concernée, l’huissier peut lui communiquer des informations pour qu’elle défende ses droits devant le tribunal, l’inviter à payer immédiatement pour éviter le tribunal ou essayer de voir si un plan d’apurement pourrait être possible. « À ce moment-là, je joue le rôle du conciliateur, j’essaie d’apporter une solution avant même qu’il soit question du tribunal. En matière civile, grosso-modo, 30 % des citations que nous délivrons ne sont pas portées à la connaissance du tribunal. Nous jouons un rôle de filtre permettant d’éviter le tribunal. En fait, la majorité des dossiers sont dus à des accidents de la vie, un décès, une perte d’emploi, une maladie, un divorce et les gens sont alors au creux de la vague. Nous essayons de diminuer ce creux et que ces gens puissent repartir… ».

Troisième mission : l’exécution des décisions de justice

« Quand vous avez une décision de justice, si c’est pour l’encadrer et la mettre au-dessus de votre lit en vous réjouissant d’avoir gagné votre procès contre votre voisin sans que ce voisin s’exécute, s’il n’y a pas quelqu’un qui fait que la décision obtenue soit exécutée, la justice ne sert à rien. Et donc l’État a délégué ce pouvoir et cette obligation à un huissier de justice », constate Quentin Debray. Parmi ces décisions possibles : la saisie. Comment cela se passe-t-il dans ce cas ?
Après avoir été devant le tribunal, une décision de justice puis un « commandement de payer » (à savoir un ordre de payer) ont été « signifiés » – c’est-à-dire communiqués de manière officielle - par l’huissier de justice aux personnes endettées et condamnées ; c’est la seule autorité habilitée à pouvoir faire cela. Si les condamnés n’ont toujours pas payé, arrive la saisie. À ce moment-là, contrairement à ce que d’aucuns croient facilement, il ne s’agit pas d’enlèvement de mobilier, mais seulement de noter le mobilier qui pourra être vendu si une solution n’est pas dégagée. Sans réaction après minimum un mois, l’huissier appose les affiches de la vente. S’il n’y a toujours pas de réaction, il procède à l’enlèvement du matériel noté. Il y a donc au minimum six déplacements et une dizaine de démarches avant l’enlèvement. Et celui-ci n’a donc lieu que six mois à un an après la première citation. Précisons que la police est alors d’office présente, pour protéger les personnes (parce qu’il s’agit d’un moment compliqué à gérer, susceptible de dégénérer rapidement) mais aussi les biens de l’expulsé mis sur le trottoir.
Ces saisies sont-elles fréquentes ? « Non, dit Quentin Debray, la proportion de ventes est extrêmement faible, moins d’un pourcent. Et cela, parce qu’à chaque étape de la procédure, nous essayons de pousser les gens à trouver une solution et souvent on les y aide ».
Il y a d’autres formes de saisie, par exemple la saisie de tout ou partie du salaire de la personne condamnée.

Aider : oui mais comment ?

Notre interlocuteur évoque différents « outils ». Parfois, la solution peut être de ralentir le processus, de laisser aux personnes endettées plus de temps pour le paiement. Cela peut être la mise au point de plans d’apurement, ce qui n’est pas prévu par la loi, mais que les huissiers font couramment. Un plan d’apurement, c’est un étalement, un lissage de la dette. Il y a donc renégociation du paiement des factures. Notre interlocuteur détaille : « J’explique au requérant (celui qui a obtenu la condamnation et qui souhaite donc procéder à l’exécution avec le concoiurs de l’huissier de justice) qu’il vaut mieux parfois avoir quelque chose tous les mois que rien du tout : il n’y a pas moyen de faire saigner un caillou, il faut trouver un terrain d’entente, conclut l’huissier. Ainsi, je donne une perspective de pouvoir s’en sortir à la personne endettée et une perspective d’être payé au créancier ».
Il s’agit d’une manière de faire similaire à celle d’un médiateur de dette, d’une guidance budgétaire. La différence, c’est que ces derniers vont généralement globaliser les dettes alors que l’huissier est concerné par une facture. Une guidance budgétaire, le terme le dit bien, c’est aussi un suivi des personnes concernées.
L’huissier peut également envoyer les personnes vers une guidance budgétaire ou une médiation et ne faire intervenir la justice qu’en cas d’absence de solution.

Commentaires

Il n'y a encore aucun commentaire sur cet article. Soyez le premier à réagir!