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À la rencontre d’un expert-psychiatre

Le 27 juin 2023

Les magistrats, qu’ils soient juges ou procureurs, ne travaillent pas seuls ! Ils ont besoin d’aide et de collaboration.
À l’aube des vacances judiciaires, Questions-Justice a décidé de rencontrer différents intervenants dont le travail permettra aux magistrats à rendre justice au mieux et, plus généralement, aux professionnels de mieux cerner en quoi consiste le droit dans sa diversité. Ces personnes ne sont pas nécessairement des juristes.

Mots-clés associés à cet article : Psychiatrie , Expertise psychiatrique , Expertise , Psychiatrie médico-légale

Cette semaine, Questions-Justice a rencontré l’expert-psychiatre Samuel Leistedt. Après avoir étudié l’expertise psychiatrique aux États-Unis, celui-ci a créé, en Belgique, le certificat en psychiatrie judiciaire, qu’il enseigne à l’ULB. Il enseigne également en faculté de médecine et de pharmacie à l’UMons. Avec d’autres experts-psychiatres, au fil des années, il a contribué à professionnaliser leur activité. Nous lui avons demandé de décrire son travail.

Questions-Justice (QJ) : Qui sont les personnes avec lesquelles vous travaillez comme expert psychiatre ?
Samuel LEISTEDT (S.L.) : Les profils des personnes que je reçois sont très variables. En premier lieu, selon les statistiques de pays proches de la Belgique, il s’agit de personnes souffrant de troubles de la personnalité, donc des personnes présentant des personnalités pathologiques, problématiques.
Beaucoup de problématiques sont aussi liées à la consommation de substances (toxicomanes…). Nous avons aussi toutes les problématiques des maladies mentales, c’est-à-dire toutes ces maladies que l’on regroupe parfois, de manière un peu réductrice, sous le nom de psychoses, comme la schizophrénie. Nous rencontrons aussi beaucoup de problématiques sexuelles. Et tous ces profils se présentent avec des variantes.

QJ : Que savez-vous de la personne avant l’expertise ?
S.L. : Nous avons accès à toutes les pièces du dossier, donc aux interrogatoires, aux différents procès-verbaux... Sans elles, je n’accepterais pas cette mission. Certains experts préfèrent ne rien lire avant une première rencontre. Moi, j’aime lire à l’avance, savoir un peu qui je vais rencontrer ou, en tous cas, connaître le contexte. Donc je parcours le dossier, en sachant que ma mission n’est pas liée à la vérité judiciaire mais bien à la vérité de la personne.

QJ : Ces personnes n’arrivent pas volontairement devant vous !
S.L. : Dans la majorité des cas, je suis requis par une autorité, donc je reçois un réquisitoire d’un tribunal de première instance, du parquet ou d’autres magistrats d’autres tribunaux. Je dois alors organiser l’expertise d’une personne. Soit elle se trouve en prison et je dois m’y rendre, soit je peux l’extraire de la prison, ce que je préfère pour l’examiner dans les meilleures conditions possibles, soit encore, bien qu’inculpée, cette personne se trouve en liberté et peut se rendre à mon bureau.

QJ : Que vous demande le mandant ?
S.L. : Cela fait une dizaine d’années que je pratique en Belgique et les questions sont nombreuses, variables, même si quelques-unes sont classiques. La première, l’une des plus complexes, c’est celle de la responsabilité, c’est-à-dire que nous devons nous prononcer quant à la responsabilité pénale d’une personne. Et cela, en deux temps, d’abord au moment des faits, ce qui est compliqué puisque nous intervenons à courte ou longue distance de ces faits. Nous nous prononçons ensuite une deuxième fois, au moment de l’expertise.
Cette question de la responsabilité est fondamentale.
Une autre question, très classique également et tout autant fondamentale, c’est celle des risques de récidive liés à un trouble mental. Nous ne sommes pas tenus de nous exprimer sur la dangerosité générale mais seulement sur une dangerosité liée à un trouble mental. Nous devons l’apprécier et communiquer cette appréciation au requérant.
Suit la question de la réhabilitation, toujours dans le cadre des troubles mentaux, avec la suggestion de mesures qui permettraient à la personne de mieux se réinsérer dans la société. Nous avons aussi des questions plus spécialisées concernant des infractions à caractère sexuel, c’est aussi une part importante de notre travail. Enfin, nous devons aussi très souvent nous prononcer sur le profil d’une personne, déterminer quelles sont ses principales caractéristiques en termes de personnalité, de tempérament.

QJ : Comment travaillez-vous ? On imagine naïvement un face à face avec cette personne, elle parle, vous écoutez ? Est-ce correct ?
S.L. : Ah non, non ! Nous avons des outils ! L’exercice est par essence subjectif et donc, depuis de nombreuses années, nous utilisons des outils scientifiquement validés. Ils nous permettent de réduire la part de subjectivité. Ces outils sont essentiellement des tests psychométriques que je peux réaliser moi-même mais la plupart du temps, ils sont menés par un psychologue psychométricien avec lequel je collabore.
Il y a donc une évaluation standardisée et une évaluation psychométrique et la multiplicité des outils permet d’approcher au mieux le profil de la personne. Il est clair qu’on ne se limite plus à une simple conversation. On essaie d’être le plus précis possible et le moins subjectif possible en utilisant ces tests.

QJ : Comment réagissent les personnes en face de vous ?
S.L. : Comme ma mission n’est pas très bien connue du grand public, à chaque nouvelle expertise, je commence par en expliquer les tenants et aboutissants. J’explique que je suis médecin mais que ma mission n’est pas thérapeutique mais évaluative. Dans la majeure partie des cas, nous avons affaire à des gens collaborants, qui discutent. L’expertise n’est pas une thérapie mais je crois que des gens qui ont la possibilité de parler d’eux-mêmes, de leur acte… peuvent se sentir un peu mieux en sortant du cabinet.
Une minorité seulement refuse de collaborer.

QJ : Voyez-vous plusieurs fois ces personnes ?
S.L. : C’est une question fréquente ! Tout dépend de la mission et du profil de la personne. On peut faire un très bon diagnostic en dix secondes et un très mauvais en cinq fois deux heures !
En général, je vois la personne une ou deux fois, parfois plus pour des questions d’affinement de diagnostic mais ce n’est pas la règle. Mais je n’aime pas travailler seul, je préfère travailler en collège (donc avec un autre expert psy…), ce que je fais dans 80 % de mes missions. Chacun voit alors la personne puis nous regroupons nos opinions et cela permet un angle de vue différent. Beaucoup de magistrats ont d’ailleurs pris l’habitude de donner mandat à des collèges.

QJ : Ces personnes ont-elles connaissance de votre rapport ?
S.L. : Absolument ! La nouvelle loi (du 5 mai 2014) prévoit un rapport préliminaire. Nous éditons un rapport commun, sans conclusions définitives. Nous le soumettons au requérant, ainsi qu’à l’intéressé et à son son avocat, pendant une période déterminée, généralement de deux à trois semaines. L’avocat et son client ont la possibilité de lire le rapport, de le critiquer, de poser des questions qu’ils nous renvoient. Nous devons, une seule fois, répondre aux questions et commentaires avant de déposer le rapport définitif, de nouveau chez le requérant et chez l’avocat.

QJ : Comment devient-on expert psychiatre pour la justice ?
S.L. : Aujourd’hui, un parcours est bien défini, ce qui n’était pas le cas il y a encore quelques années. Auparavant, tout psychiatre pouvait se définir expert du jour au lendemain et, dans les tribunaux, cela fonctionnait un peu au bouche-à-oreille.
Aujourd’hui, il faut d’abord posséder le titre professionnel particulier en psychiatrie médico-légale. Ce titre renvoie à un arrêté royal précisant des critères liés à un bagage à la fois théorique et pratique.
Dans un second temps, il faut s’enregistrer ou en tous cas soumettre son dossier au registre national des experts judiciaires, une première fois au registre provisoire, une seconde fois au registre définitif.
Les magistrats qui ont besoin de vos services vous trouvent alors sur ce registre.

QJ : Quelque chose à ajouter ?
S.L. : Oui ! Les experts-psychiatres sont une espèce en voie de disparition ! J’essaie de solliciter des vocations mais c’est très difficile, pour différentes raisons, particulièrement parce que l’accès au titre d’expert est long et compliqué. Et puis, le travail sort un peu du cadre de travail médical habituel et est très lourd aux plans logistique et administratif. Enfin, on interagit essentiellement avec le monde judiciaire avec lequel on ne dialogue pas comme dans le monde médical. Pour devenir expert-psychiatre, il faut donc beaucoup d’investissement personnel, beaucoup d’énergie, ce qui en décourage plus d’un. Pourtant, la mission de l’expert-psychiatre est fondamentale dans le cadre d’une instruction judiciaire !

Commentaires

  1. À la rencontre d’un expert-psychiatre

    4 août 2023

    ben chaib

    Bonjour mon fils Ben chaib Kevin et actuellement détenu a la prison de Brugge et le magistrat charger du dossier demande une expertise sur mon fils pourriez vous me contacté au 0765681964 merci
    Cordialement Mr Ben chaib