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Archives de la Justice : bien plus que de vieux papiers !

Le 2 août 2023

Qui pense « archives », imagine souvent « vieux papiers ». Mais ces papiers peuvent être très actuels ! Les archivistes parlent même d’archives « vivantes » ! En effet, dès qu’il est produit par une institution ou une personne dans le cadre de ses activités, tout document devient une archive : il est naturellement destiné à être conservé un certain temps car il a une réelle et concrète utilité !

Mots-clés associés à cet article : Archiviste , Archives , Archives de l’État , Archives générales du Royaume

Photo @ PxHere

Au fil du temps, sa finalité première deviendra moins immédiate. Et enfin, un jour plus ou moins lointain, il n’aura plus aucune utilité pour celui qui l’a produit. On le qualifiera alors d’archive « morte ». Mais ces archives mortes pourraient peut-être avoir une seconde vie ! Donc il est utile de les conserver, si pas toutes, au moins certaines d’entre elles. Alors, comment décider de ce qui est conservé ? Et pour combien de temps, pour l’éternité ou pour quelques années ?
Pour tenter d’y voir clair, nous avons contacté Bernadette Petitjean, archiviste, chef de travaux aux Archives de l’État à Namur, qui font partie des Archives générales du Royaume et membre du groupe de travail « Ordre judiciaire » au sein de cet organisme public fédéral. Questions-Justice remercie Madame Petitjean pour sa disponibilité et le soin apporté à la relecture de cet article.

Parlant des archives de la Justice, il est évident que tout ce qui est produit ne peut être conservé : tous les ans, la masse des archives judiciaires produites dans l’ensemble des juridictions du pays augmente de plusieurs kilomètres linéaires. Leur conservation impliquerait un coût de stockage énorme et rendrait le tout impossible à gérer, à utiliser. Donc il faut trier.
Si auparavant les archivistes se déplaçaient dans les palais de justice pour effectuer eux-mêmes un tri très subjectif, aujourd’hui, ils donnent aux services producteurs des directives de tri qui se basent sur des critères objectifs.

Conservés pourquoi ?

Certains documents sont conservés parce qu’ils ont une valeur juridique permanente : ce sont, par exemple, les originaux de toutes les décisions prises par les différentes juridictions. Ainsi ceux-ci sont systématiquement conservés, en principe depuis 1795 (et la naissance de nos tribunaux). On pourrait par exemple retrouver parmi les décisions d’un juge de paix les éléments relatifs à un droit de passage instauré il y a des années et aujourd’hui non reconnu, mais qu’un propriétaire voudrait réactiver.
Les documents qui ont une haute valeur informative (comme les rôles généraux, autrement dit les listes des affaires, des tribunaux civils ou les registres des notices des parquets) méritent aussi d’être conservés. Ils doivent permettre par exemple d’avoir une vue d’ensemble sur les activités d’un tribunal ou d’un parquet particulier. Ainsi un historien pourrait-il retracer grâce au registre des notices de tel parquet l’évolution de la criminalité et de sa répression dans tel arrondissement.
Sont aussi conservées les instruments d’accès tels que les répertoires, fichiers et tables alphabétiques, qui permettront de retrouver une affaire particulière sur la base d’une date ou d’un nom.
Et enfin, seront également conservés des documents ayant un intérêt historique, base possible de nombreuses études portant sur les thématiques les plus diverses (histoire du droit et de la justice, histoire sociale sous tous ses aspects, histoire des individus, etc.). Ainsi, les archives judiciaires sont une mine d’informations pour retracer l’évolution de la société, de certains comportements, par exemple au sujet de la fin de vie, de l’avortement, de la pollution…

Conservés un temps…

Mais tous les documents répondant à ces critères ne peuvent cependant pas tous être conservés. Un tri s’impose notamment parmi les volumineuses séries de dossiers de procédure. Seront par exemple d’office conservés les dossiers qui émanent d’une cour d’assises, les dossiers protectionnels des tribunaux de la jeunesse ou les dossiers d’adoption ; ils peuvent être utiles non seulement pour des historiens mais aussi pour des citoyens en quête de leur propre histoire. Par exemple, le descendant d’une personne adoptée peut souhaiter tenter de remonter dans le passé de sa famille. Ou encore une personne placée par le juge de la jeunesse dans son enfance peut souhaiter, bien des années plus tard, en savoir plus sur les circonstances de ce placement.
Quant aux autres séries de dossiers, elles sont soumises à un tri sévère. Les archivistes travaillent le plus souvent avec des échantillons, totalement aléatoires : par exemple, ils conservent un dossier sur vingt (pour les administrations provisoires) ou tous les dossiers du mois de mars des années paires et d’octobre des années impaires (pour les dossiers correctionnels d’affaires jugées). Les documents ainsi sélectionnés seront en principe conservés « pour toujours » aux Archives de l’État.

Des laps de temps prévus

Pour que des archives soient ou puissent être utiles, on comprend donc bien qu’il faut les trier !
Les règles de ce tri sont décrites dans un « Tableau de tri » de 137 pages, mis au point au sein des Archives de l’État par un groupe de travail appelé « Ordre judiciaire ».
Ce tableau répertorie, pour chaque type de juridiction, toutes les « séries » ou types de documents produits. Á chaque série correspond un code (composé d’une abréviation, par exemple COR pour les tribunaux correctionnels suivie de trois chiffres, COR005 par exemple, pour les minutes des jugements du tribunal correctionnel).
Chaque série possède un délai de conservation et une destination définitive. Le délai de conservation correspond à la durée d’utilité administrative de ce type de document, c’est-à-dire au laps de temps durant lequel il doit être conservé par la juridiction. Ce délai varie d’une série à l’autre : par exemple, trente ans pour les minutes de jugements, cinq ans pour les dossiers de simple police, cinquante ans pour les dossiers des affaires de mœurs mineurs d’âge… La destination définitive d’une série de documents est le sort qui lui est réservé après expiration de ce délai. Trois possibilités alors : l’élimination pure et simple, le versement intégral aux Archives de l’État ou le tri de manière à conserver une partie représentative de la série.

Des greffes aux Archives de l’État

Au départ, ainsi que le prévoit le Code judiciaire, c’est aux greffiers des différents tribunaux et cours ou aux secrétaires en chef des différents parquets de « prendre les mesures appropriées pour assurer la bonne conservation de toutes les archives dont la gestion lui incombe, les classer et les inventorier, ce indépendamment de leur forme, de leur structure et de leur contenu ». Aucun document ne peut être éliminé sans l’autorisation des Archives de l’État : le greffier doit, pour ce faire, adresser une demande à l’archiviste.
Régulièrement, ou par tranche de dix ans par souci d’efficacité, chaque greffier ou secrétaire en chef envoie donc aux Archives de l’État de son ressort les documents triés en référence à ce tableau de tri. Ces archives doivent être conditionnées dans des boîtes et chemises non acides fournies sur demande par la Direction générale de l’Organisation judiciaire (DGOJ) du SPF Justice. Elles doivent être inventoriées (décrites et numérotées) avant d’être transférées aux Archives de l’État
La préparation d’un versement d’archives représente un gros travail et peut requérir une importante main d’œuvre. Lorsqu’ils préparent le transfert de documents vers les Archives de l’État, les greffiers peuvent être aidés par des équipes volantes de « collaborateurs archives » mis à disposition par le SPF Justice.

Archivage électronique

Ce même Tableau de tri doit être utilisé pour toutes les archives, quel que soit leur support, donc archivage électronique inclus. Actuellement, de nombreux registres, répertoires et autres documents ont déjà été remplacés par des fichiers de données numériques. Les minutes des jugements et arrêts seront bientôt systématiquement établies sous forme dématérialisée. En finale, les données sur support électronique devraient diminuer – ou ne plus faire progresser - le volume d’archives papier à conserver et les coûts liés aux espaces de stockage traditionnels. Mais l’archivage électronique a également un coût et un impact environnemental non négligeable. Il devrait par contre faciliter certaines recherches.

Qui vient voir quoi ?

Les Archives de l’État publient et mettent en ligne régulièrement des inventaires (par exemple : « Inventaire des archives de la Cour d’assises de Namur de 1796 à 1990 »), indispensables pour qu’un citoyen connaisse l’existence de ces documents.
Les archives judiciaires sont consultées par des chercheurs, souvent historiens, qui se rendent dans les salles de lecture des différents dépôts des Archives de l’État. Elles sont fréquentées aussi par des généalogistes amateurs ou encore par des citoyens à la recherche d’éléments de preuve ou d’informations sur leur propre passé.
Il existe des règles de communicabilité bien précises en fonction de la nature et de l’âge des documents. D’une manière générale, une consultation est possible aux Archives de l’État :

  • après trente ans pour la plupart des dossiers civils, sur demande motivée et moyennant autorisation des Archives de l’État ;
  • après cent ans pour les dossiers pénaux ; pour les dossiers de moins de cent ans, il est nécessaire d’obtenir l’autorisation du Parquet.
    Pour les dossiers jeunesse, il faut également adresser une demande motivée au Parquet. Vu le côté délicat de ces demandes, celui-ci peut mandater une assistante de justice qui accompagnera la personne demandeuse.

Qui sont les archivistes ?

Les archivistes de l’État travaillant avec la justice ne sont pas des juristes. Ce sont des historiens qui se sont spécialisés dans l’histoire de ces institutions et dans la gestion de ces archives. Pourquoi des historiens ? « Mais les archives sont un peu le labo des historiens ! », précise notre interlocutrice.
Si, par le passé, les archivistes se formaient « sur le tas », il existe actuellement une filière et un diplôme en archivistique dans la formation historique. Bien sûr, rien ne remplace le contact direct avec le document !

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