Le 1er février 2022, Questions-Justice titrait : « Le rapt des enfants métisses n’est pas un crime contre l’humanité ». Le 2 décembre 2024, la Cour d’appel de Bruxelles affirme le contraire : ce rapt est bien un crime contre l’humanité.
Reprenons l’histoire de ces cinq femmes nées au Congo entre 1946 et 1950, enfants d’un père blanc et d’une mère noire.
Mots-clés associés à cet article : Vie privée , Liberté individuelle , Crime contre l’humanité , Traitement inhumain et dégradant , Discrimination , Droit au respect de la vie privée , Prescription , Racisme , Vie familiale , Liberté de circulation , Droit au respect de la vie familiale , Colonisation , Métis - Métisses , Congo
Photo @ PxHere.com
Quand le Congo est une colonie belge
Conformément aux lois édictées par l’État belge, elles ont été enlevées à leur mère alors qu’elles n’étaient ni délaissées, ni abandonnées, ni orphelines. Placées dans une institution tenue par des religieuses néerlandophones, elles disent y avoir été maltraitées.
Des documents officiels retrouvés dans les archives de la période où la Belgique colonisait le Congo expliquent clairement comment ces enfants devaient être repérés dans les villages. Ils étaient ensuite autoritairement enlevés à leur mère, par la force, la ruse, la menace... Ils devenaient alors « pupilles de l’État colonial ».
Un premier procès
Le 24 juin 2020, ces cinq dames avaient demandé au tribunal de condamner l’État belge pour deux fautes qu’elles estimaient commises :
- des crimes contre l’humanité ;
- des violations de leurs droits fondamentaux : traitements inhumains et dégradants, discrimination fondée sur la race, atteinte à leur liberté d’aller et venir, à leur vie privée et familiale.
Elles ont demandé réparation pour ces fautes.
Le 8 décembre 2021, le tribunal civil de Bruxelles ne leur a pas donné raison. Il a considéré que les crimes contre l’humanité n’existaient pas dans notre législation au moment des faits. En effet, c’est seulement en 1999 que la notion de crime contre l’humanité a été introduite dans le droit belge pour des faits de ce genre.
Les crimes contre l’humanité peuvent toujours être jugés, ils sont imprescriptibles, mais, comme, selon le tribunal, il ne s’agit pas de crime contre l’humanité, les faits invoqués par ces dames sont trop anciens. Le délai de prescription de cinq ans est largement dépassé.
Le 1er février 2022, Questions-Justice a consacré un article à ce jugement : « Le rapt des enfants métisses n’est pas un crime contre l’humanité ».
Une condamnation en appel
Pas d’accord, ces cinq dames se sont adressées à la Cour d’appel de Bruxelles. Par son arrêt du 2 décembre 2024, celle-ci leur a donc donné raison.
La Cour constate que ces personnes ont bien été enlevées enfants à leur mère. Il s’agissait de l’application d’un plan élaboré par l’État belge pour rechercher et enlever systématiquement des enfants nés d’un père belge et d’une mère congolaise.
La Cour estime que leur enlèvement est bien un acte inhumain que l’on peut qualifier de crime contre l’humanité.
En effet, dit la Cour, contrairement au jugement précédent, la notion de « crime contre l’humanité » date de 1945, quand les crimes commis par l’Allemagne nazie ont été jugés à Nuremberg. Elle fait donc bien partie du droit international pénal actuel. Elle a également été confirmée par une résolution de l’assemblée générale de l’ONU le 11 décembre 1946. Elle fait donc bien partie du droit international pénal actuel.
Puisqu’il y a bien eu crime contre l’humanité, la demande des dames concernant la reconnaissance d’un crime contre l’humanité et sa réparation est jugée fondée : l’État belge est donc condamné par la Cour à les indemniser pour la perte du lien à leur mère, l’atteinte à leur identité et à leur lieu d’origine. 50.000 € de dédommagement doivent être versés à chacune d’elles.