Entre 2014 et 2017, l’échevine de l’urbanisme de Liège s’est régulièrement fait injurier par un entrepreneur auquel elle avait refusé un permis de travaux concernant un projet.
Mécontent, l’homme publiait des photos de cette dame en y ajoutant des commentaires comme « Intellectuelle de bac à sable », « en plus d’être menteuse, elle est affreuse » ou encore « On dirait un morceau de boudin au raisin ».
Mots-clés associés à cet article : Liberté d’expression , Presse , Délit de presse , Injure , Opinion
L’échevine avait déposé plainte à la police mais il n’y avait pas eu de suite, le Parquet n’ayant pas poursuivi l’entrepreneur. Pour mettre fin à ces injures et ces commentaires malveillants, l’avocat de l’échevine avait introduit une citation directe, c’est-à-dire une convocation devant le tribunal correctionnel. Il y avait été condamné à 100 heures de travail pour injures, calomnies (il avait prétendu que cette dame « touchait des enveloppes ») et harcèlement.
Délit de presse ?
Il s’est adressé alors à la Cour d’appel de Liège.
Expliquons-nous :
La défense de l’entrepreneur concerné estimait que ces commentaires injurieux et ce harcèlement sur Facebook étaient un « délit de presse ». Depuis la Constitution belge de 1831, on peut parler d’un délit de presse lorsqu’un auteur diffuse son message avec un texte sur papier, comme un journal, un magazine. En 2012, la Cour de Cassation a jugé que les textes numériques, sur internet par exemple, pouvaient également relever d’un délit de presse.
Or, selon la Constitution, toujours en vigueur sur ce point, les délits de presse doivent être jugés en cour d’assises. À l’époque on a voulu protéger à la fois les journalistes et leur liberté d’expression. Elle n’a jamais été modifiée (sauf, en 1999, sur le point suivant : lorsqu’il s’agit de délits de presse inspirés par le racisme ou la xénophobie, ce sont les tribunaux ordinaires qui sont compétents) et elle ne pouvait évidemment pas avoir prévu l’arrivée d’internet, de Facebook, des réseaux sociaux.
Dans la pratique, un procès d’assise n’a quasiment jamais lieu au sujet d’un délit de presse, ces procès seraient bien trop lourds (deux procès seulement ont existé dans toute l’histoire de la Belgique). Les insultes, les mensonges, la diffamation par voie de presse peuvent donc exister sans qu’il y ait effectivement de sanction pénale. Par contre, les victimes peuvent s’adresser à un tribunal civil et demander des dommages et intérêts.
Prétendant que ses commentaires étaient un « délit de presse », l’entrepreneur liégeois estimait donc éviter tout jugement.
Injure ou opinion ?
Un délit de presse doit être l’expression d’une opinion. Mais, dit la Cour, les propos de l’accusé « ne sont pas des articles émettant une pensée critique ou argumentée mais sont en réalité des insultes […] publiées sur la page du réseau social ouverte au nom d’une personne en particulier ». Ce n’est pas une opinion. Et s’il ne s’agit pas d’émettre une opinion mais seulement de déverser des insultes, il ne peut pas être question d’un délit de presse. Le 28 mai 2019, la Cour d’appel a sanctionné l’entrepreneur plus gravement que le Tribunal correctionnel puisqu’elle l’a condamné à une peine de prison de dix mois ferme.
Cet arrêt « trace une frontière entre ce qui rentre dans le délit de presse et ce qui constitue seulement une injure », explique Alain Berenboom, avocat spécialisé en droit des médias, interviewé à ce sujet par la RTBF.
Jurisprudence
La décision de la Cour d’appel pourrait faire jurisprudence, c’est-à-dire qu’elle pourrait être un argument utilisé dans une affaire semblable à celle-ci pour condamner une personne qui émettrait des injures sur Facebook ou un autre réseau social. Ce n’est en effet pas en ce sens que juge en général la Cour de cassation, pour qui il suffit qu’un texte écrit soit publié et qu’il comporte un délit (par exemple une injure ou un propos raciste) pour qu’il relève de la seule compétence de la cour d’assises et échappe donc à la compétence du tribunal de police ou du tribunal correctionnel. C’est en ce sens que la Cour de cassation interprète la notion de délit de presse dans la Constitution.
Si la décision de la Cour d’appel de Liège devait inspirer d’autres décisions judiciaires, cette nouvelle manière de voir les choses pourrait aider à limiter l’impunité, en pratique, sur ces questions (et donc le fait de pouvoir injurier quelqu’un dans un livre, dans un journal ou sur internet sans être puni). Mais elle ne change pas la Constitution ! Changer celle-ci, c’est le travail du Parlement ! « Le législateur, dit encore l’avocat du droit des médias, ferait bien de se pencher sur la question et de nettoyer, d’actualiser, de moderniser les textes en matière de liberté de la presse ».
Sources :
- « Injurier n’est pas exprimer une opinion » - Laurence Wauters – Le soir du 28/5/2019.
- Journal télévisé RTBF du 28/5/2019
Une injure, ce n’est pas une opinion
9 août 2019
Michel Schobbens
Je pense que la Justice doit clarifier ce délit et que le Parlement devra probablement
changer la loi, mais peu m’importe dans le cas présent. Les commentaires sont
injurieux et il est clair qu’il doit être sanctionné. De telles injures ne peuvent rester
impunie.
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