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Ne confondons pas « annulation » et « suspension »

Le 13 mai 2024

Annulation ? Suspension ? Voilà des mots du vocabulaire de la Justice qu’il ne faut pas confondre ! Tous deux peuvent être utilisés par la Cour constitutionnelle et par le Conseil d’État lorsque ceux-ci sont concernés – on dit saisis – par un recours.

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À chacun son rôle

Précisons d’abord le rôle de l’un et de l’autre avant de définir ces termes.
Le Conseil d’État – dans sa partie appelée « la section du contentieux administratif » – examine les décisions de l’administration : respectent-elles bien la loi ? Par exemple, un permis d’environnement devait-il être refusé par l’administration ou tel fonctionnaire n’avait-il pas droit à un emploi qu’il n’a pas obtenu ?
Toute personne, toute société, organisation, institution ou association peut introduire un recours en annulation. Devant la Cour constitutionnelle, ce sera l’annulation d’une loi, d’un décvret ou d’une ordonnance qui violerait des articles de la Constitution. Devant le Conseil d’État, ce sera l’annulation d’une décision d’une administration, en ce compris un arrêté royal, qui violerait une règle supérieure (une loi, un décret, une ordonnance et même la Constitution ou un traité international).
Si la loi, le décret ou l’ordonnance est annulé, si la décision de l’administration est annulée, cela signifie qu’ils n’existent plus. On pourra même considérer qu’ils n’ont jamais existé, et cela même dès leur entrée en vigueur. Exceptionnellement cependant, la Cour et le Conseil peuvent décider de la date où l’annulation sera effective et donc prise en compte.

Problème !

Supposons un permis d’environnement octroyé par une commune à une usine. Des riverains ne sont pas d’accord et demandent donc son annulation au Conseil d’État. Celui-ci peut mettre plusieurs mois avant de l’annuler. En attendant cette annulation, l’usine va fonctionner. Autre exemple : un permis d’urbanisme a été octroyé pour une maison mais les futurs voisins s’y opposent parce que cette nouvelle construction va leur cacher la lumière. Ici aussi, les murs vont s’élever en attendant une éventuelle annulation.
Pour éviter ce genre de situation, ceux qui « introduisent un recours en annulation » devant la Cour constitutionnelle ou le Conseil d’État peuvent demander en même temps une suspension. On parle alors de « référé constitutionnel » ou de « référé administratif ». La décision concernant cette suspension (appelée « arrêt ») intervient rapidement, ce qui évite des situations impossibles à corriger : si l’usine travaille, elle risque de polluer l’environnement. Si les murs sont élevés, la lumière va disparaitre…
Quand il y a suspension, cela signifie que la loi ou la décision n’est pas supprimée mais qu’elle ne peut pas être prise en compte. L’usine ne peut pas fonctionner ou la maison ne peut être bâtie.

Comment ça se passe ?

Pour pouvoir demander la suspension d’une loi, d’un décret ou d’une ordonnance à la Cour constitutionnelle, il faut avoir introduit un recours en annulation.
Dans deux cas principaux, la Cour peut alors les suspendre :

  • les arguments invoqués sont sérieux et, si la règle était appliquée, cela causerait un préjudice grave et difficilement réparable (reprenons l’exemple de l’usine qui aurait reçu l’autorisation de travailler : la pollution produite aurait eu de graves conséquences qui ne pourraient être réparées ou en tout cas difficilement) ;
  • l’annulation est demandée pour une règle identique ou similaire à une autre, décidée par la même Région, la même Communauté ou par l’État et déjà annulée par la Cour constitutionnelle.

Le Conseil d’État ne peut suspendre la décision d’une administration qu’en respectant deux conditions :

  • s’il existe une urgence et donc qu’une annulation arriverait trop tard ;
  • s’il existe un argument invoqué par le requérant qui peut être examiné rapidement et qui justifierait, à l’occasion d’un premier examen, l’annulation de l’acte ou du règlement attaqué.

Une suspension et puis ?

Une suspension est toujours provisoire. Elle doit nécessairement être suivie d’un examen par la Cour constitutionnelle ou le Conseil d’État.
Lors de la suspension, la décision de suspension a été prise très rapidement ; les uns et les autres n’ont pu s’expliquer que brièvement. En revanche, la demande d’annulation est ensuite étudiée de manière approfondie. Souvent, une annulation suivra une suspension mais ce n’est pas toujours automatiquement le cas. Il peut arriver exceptionnellement que la Cour ou le Conseil estime finalement qu’un argument pris en compte lors de la suspension ne soit pas correct et donc ne doive pas être pris en compte. C’est ce qui s’est passé par exemple dans le cadre de l’affaire dite Vandecasteele, du nom d’un coopérant belge détenu en Iran jusqu’à la mi-2023 : après avoir suspendu une loi approuvant un traité entre la Belgique et l’Iran permettant le retour d’Olivier Vandecasteele en Belgique, la Cour constitutionnelle, après une nouvelle réflexion lors de l’examen du recours en annulation de la même loi, a changé d’avis et a pris une décision (un « arrêt ») rejetant la demande d’annulation (le « recours en annulation ») et la loi approuvant le traité en question peut donc être désormais appliqué.
Cela peut arriver parce que, rappelons-le, le droit n’est pas une science exacte : il s’agit toujours d’interpréter les règles, ce qui demande souvent du temps et de la réflexion et peut donc être malaisé dans l’urgence.

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