Les « expériences immersives » sont à la mode ! Fever, une « plateforme de référence pour la découverte de divertissement et de loisirs », propose « The Jury Experience », soit « une immersion dans une expérience singulière, loin du quotidien en plongeant les participants au cœur d’un procès fictif pour leur faire vivre de l’intérieur le rôle de juré ».
Divertissement donc autour d’un sérieux sujet : la justice…
On vous en dit plus !
Mots-clés associés à cet article : Procureur du Roi , Juge , Avocat , Parquet , Ministère public , Cour d’assises , Jury , Juré(s) , Procès pénal , The Jury Experience

Un homme est accusé d’avoir assassiné le mari d’une femme extrêmement riche dont il est amoureux. Il l’aurait tué à la veille d’un divorce qui aurait privé cette femme de sa fortune et l’aurait empêchée de se remarier…
Aux USA ? Ou n’importe où ?
Sur scène, quatre pupitres. Derrière eux, sur un sobre décor, Thémis, déesse de la justice, brandit le glaive et la balance. Où se trouve-t-on ? Mystère, rien n’est précisé ou localisé en début de séance. Sur un écran, un homme invite le public à être le jury de ce procès. Il défend l’importance du rôle des jurés dans une démocratie.
Les infos glanées par interview nous éclairent quelque peu : « Le concept de ‘The Jury Experience’ repose sur un cadre inspiré du système judiciaire américain, qui est immédiatement reconnaissable et compréhensible pour un public international ». Peut-être… Il s’agit « d’un cadre clair, structuré et immersif qui permet au public de se plonger instantanément dans le rôle de juré, sans qu’il soit nécessaire de reproduire fidèlement les spécificités du système judiciaire local ».
Effectivement, nous le décrirons plus loin, nous sommes loin, par exemple, du système judiciaire belge ! L’objectif n’est d’ailleurs pas de nous le faire découvrir mais, selon Mathilde Le Bihan, organisatrice, « de rendre la justice plus compréhensible, plus proche et accessible à un public non expert ». Ou encore « de permettre à chacun de vivre concrètement les dilemmes moraux et humains que suppose une décision de justice… […] L’expérience encourage une réflexion active ».
Imbroglio
Sur scène, à gauche, se trouve l’accusé, qui a refusé un avocat. Au centre, le juge qu’il faut appeler « Votre honneur ». Entre l’accusé et l’unique juge, un pupitre pour les témoins. À droite, une femme en tenue civile, que le juge appelle « Maître » mais il parle aussi d’elle en disant « l’avocate générale ». Il la houspille à plusieurs reprises, soulignant qu’il n’a pas de temps à perdre.
Premier imbroglio : qui est cette femme qui va interroger l’accusé et les témoins ? Qui va aussi inviter le jury à le condamner ? L’avocate de la victime ? Une procureure ?
La confusion demeurera tout au long de ce très court procès : en effet, en à peine une heure, le jury votera, à la fois, la condamnation et la peine. Pas de délibération, pas de débat possible pour le public (il faut trancher en une minute) mais une somme des votes individuels via un code QR. Ce public/jury votera également quatre fois, sur invitation du juge, pour décider de la suite du procès : l’avocate générale (?!) doit-elle parler du passé de l’accusé ou de ses rapports avec la femme de la victime ? Ou encore : quand apparaissent deux nouvelles preuves, le public/jury vote pour ne tenir compte que d’une seule : des traces de pas sur le tapis ou des projections de sang… Est-ce une pratique des USA ou d’ailleurs ? Ou seulement une manière de faire participer le public, de lui confirmer qu’il a un rôle à jouer puisqu’il est immergé dans l’expérience ?
Buts atteints ?
La soirée veut donc rendre la justice « plus compréhensible, plus proche, plus accessible ». Est-ce le cas ? Tout parait si simple, si rapide, si loin de la complexité humaine ! Un peu « bâclée » ou en tous cas, expéditive tout de même cette justice avec une heure pour juger un accusé de meurtre, une minute pour condamner et décider de la peine et donc voter pour une des trois propositions assorties d’une peine : non coupable et acquitté, complice avec une peine de huit à douze ans ou coupable avec la prison à vie.
« The Jury Experience » veut aussi « permettre à chacun de vivre concrètement les dilemmes moraux et humains que suppose une décision de justice ». Peut-être, oui, permet-elle une découverte de la complexité d’une situation et donc de la difficulté à trancher mais… surement pas du temps de la recherche de l’information, du raisonnement, de la réflexion…
En Belgique ?
Apprendre le fonctionnement de la justice belge n’était clairement pas l’objectif de ces soirées « de divertissement et de loisir ». Précisons cependant quelques importantes différences avec la réalité d’une cour d’assises belge.
Un juge présiderait le procès et serait entouré de deux autres juges. Le procureur serait identifiable et ce n’est pas lui qui interrogerait l’accusé à de multiples reprises au cours du procès.
L’avocat de la victime ne pourrait pas être confondu avec la représentante du parquet…
Les témoins (deux ici) seraient à coup sûr plus nombreux…
Le jury n’interviendrait pas pour décider du suivi… Il délibèrerait pendant bien plus d’une minute avant de se prononcer et redélibèrerait pour décider de la peine…
De nouvelles preuves apparaissant pendant le procès pourraient éventuellement ne pas être automatiquement prises en compte…
Conclusion
But atteint par ce… spectacle ? Une soirée de loisir, oui ! Prise de conscience du rôle de juré ? Mais en décidant du soir d’un homme en une minute, a-t-on pu en percevoir la complexité de la situation ? Réflexion active, disait aussi l’organisatrice. Au moment même, surement pas. Espérons postérieurement ? Quant à l’information sur la justice, peut-être, mais de manière pour le moins approximative, superficielle, donc éventuellement source d’erreurs…
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